Quatre témoignages d’enseignantes

Dans cet article, nous explorerons les témoignages de quatre enseignantes ayant développé des initiatives pour intégrer la transition écologique dans leurs cours et au sein de l’Université d’Angers. À travers leurs expériences, nous identifierons leur parcours, les éléments déclencheurs qui les ont conduites à une action plus collective, les défis rencontrés et les perspectives de ces actions.

Voici quatre enseignantes venant de quatre composantes de l’Université d’Angers et ayant des profils variés. Nous allons voir les éléments déclencheurs qui les ont amenées à s’engager collectivement au travers d’actions.

Cécile Grémy-Gros est maîtresse de conférences au sein de Polytech Angers et intervient également en Sciences, Pharmacie ainsi qu’à l’ENSAM d’Angers et à l’ESA. Ses thématiques d’enseignement et de recherche sont la gestion de projet, l’agroalimentaire, le génie industriel et en écoconception et analyse du cycle de vie (ACV). Son implication découle de sa nomination en tant que référente Développement Durable et Responsabilité Sociétale (DD&RS). « J’ai été choisie par la direction de l’école car je m’intéressais à ces sujets au niveau de mes enseignements et de mes activités de recherche. »

Marianne Lefebvre est maîtresse de conférences en économie à l’IUT, chercheuse au GRANEM. Elle enseigne les bases de l’économie et intervient en lien avec ses recherches en économie agricole et économie de l’environnement. L’idée de créer un concours est arrivée à la suite de l’opportunité d’un nouveau cours au sein du Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) avec un volume horaire faible «, vraiment insuffisant pour développer les compétences nécessaires pour affronter les enjeux écologiques ».

Laure Pillot est enseignante au sein du département d’Histoire. Elle a une stratégie bien rôdée pour ce qui concerne la transition écologique : ne refuser aucun projet ! « J’essaie de répondre présente à toutes les sollicitations sur la thématique des enjeux sociétaux liés à la transition écologique, ce qui me permet d’aborder le sujet auprès de publics très différents. En LLSH bien sûr, mais aussi en Sciences ou à l’IUT ».

Camille Savary est maîtresse de conférences en toxicologie au sein du département de Pharmacie et intervient également en Sciences. La sollicitation de la nouvelle direction de son département à participer à un groupe de travail sur la transition écologique a marqué le début de son engagement collectif sur la question : « Passionnée par ce sujet si vertigineux, j’ai à la fois accepté et me suis très largement investie. Et entre nous, cela tombait très bien car cela m’a permis d’échapper à une éco-anxiété grandissante. »

Panorama des actions collectives

Nous allons voir ici chacune des actions collectives développées par ces quatre enseignantes.

Diversifier les approches pédagogiques pour sensibiliser les étudiants

Laure Pillot est investie dans diverses initiatives pédagogiques liées à la transition écologique et s’efforce de diversifier les approches pédagogiques pour sensibiliser les étudiants, notamment via des outils venant de l’éducation populaire tels que la classe dehors et l’arpentage. Engagée dans des projets interdisciplinaires et des collaborations externes, elle encourage les échanges et la réflexion critique sur ces enjeux cruciaux. « J’espère continuer à diversifier ces publics dans les années à venir. Il est important que chaque étudiant puisse entendre parler très régulièrement de ces sujets. Ce sont des questions importantes qui peuvent susciter des émotions, des controverses ». Laure Pillot essaie alors de s’appuyer sur les représentations des étudiants et « de prendre le temps de la discussion, du recueil d’émotions et d’opinions encore plus que sur d’autres sujets ».

Du côté de la communauté enseignante, Laure Pillot souligne l’importance du lien entre enseignants pour adapter les contenus : « Nous sommes plusieurs enseignants à questionner ces thématiques, il est important de nous connaître et de faire réseau. »

Mobiliser la communauté universitaire pour des actions concrètes

Camille Savary mobilise un large éventail de membres de la communauté universitaire autour de projets visant à réduire l’impact environnemental de leurs activités via le groupe de travail sur la transition écologique au sein du département de Pharmacie dans lequel elle co-anime. « Après un appel large auprès des collègues qui n’a pas bien porté ses fruits, je suis allée “chercher” des collègues auprès de la scolarité, des techniciens, des professionnels de santé (pharmacien, médecine) et étudiants. Nous avons constitué un groupe avec deux objectifs. 1 : intégrer des enseignements sur la transition écologique ; 2 : réduire l’impact environnement de notre activité sur le campus. »

Les initiatives portées par ce groupe de travail ne sont pas les seules existantes. Des personnels de la MRGT (Maison de la Recherche Germaine Tillon) et de la Passerelle ont, par exemple, mis en œuvre l’installation d’un composteur collectif sur le campus Belle-Beille.

Intégrer la transition écologique dans les programmes d’études

Cécile Grémy-Gros, s’est engagée, d’une part dans l’intégration de ces enjeux dans les programmes d’études et la formation de la communauté universitaire. « L’intégration de la transition écologique dans les enseignements est à la fois une nécessité pour répondre aux enjeux actuels, une obligation (Commission des Titres d’Ingénieur) et une demande de certains étudiants. Et depuis l’été 2023, des journées de formation dédiées à l’intégration de ces sujets dans l’enseignement sont proposés à l’ensemble des enseignants de Polytech. »

D’autre part, elle a à cœur de sensibiliser l’ensemble de la communauté universitaire : « Le séminaire de fin d’année 2022 a été l’occasion que tout le personnel de l’école fasse la Fresque du Climat et par la suite de trouver des personnes motivées pour se former à l’animation de cette Fresque et participer à l’organisation de notre première rentrée Climat. » Les étudiants sont directement participants puis acteurs puisque certains ont été formés à l’animation de la Fresque et participent au déploiement de la rentrée Climat

Promouvoir la transition écologique et sociale à travers un concours interdisciplinaire

Plutôt qu’un cours d’économie traditionnel, Marianne Lefebvre, a eu l’idée de mettre en place un concours visant à sensibiliser les étudiants du département Gestion des Entrepris et des Administrations (GEA) aux enjeux de la transition écologique. « J’ai pensé qu’un format concours donnerait aux étudiants envie d’aller chercher les compétences et connaissances pluridisciplinaires nécessaires pour proposer un projet innovant, impactant et inclusif. »  Le thème du concours est “Prendre soin de mon campus, de moi et des autres “. Ainsi, les projets présentés doivent proposer des actions concrètes qui doivent répondre à un ou plusieurs des quatre axes thématiques suivants issus du référentiel DDRS porté par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ». Les projets seront évalués par un jury composé d’enseignants et de personnalités extérieures sur leur caractère innovant, impactant, inclusif et s’inscrivant dans le périmètre du campus de Belle-Beille. Pour le lancement de ce projet, l’organisation du concours se fait avec le soutien du Lab’UA, de Laurent Bordet et de Delphine Rigole (enseignante en économie à Polytech), qui a un rôle clé puisqu’elle accompagne cette année les étudiants de BUT3 GEA (seuls participants au concours cette année) sur le montage des projets. L’étudiant est mis alors en posture d’acteur, ce qui appuie concrètement le cadrage ministériel sur la formation à la transition écologique, « de former par l’action, afin de donner du sens aux compétences » (MESRI, 2023).

Défis et freins rencontrés dans la mise en œuvre de ces actions

Les retours des enseignantes mettent en lumière plusieurs types d’obstacles. Cécile Grémy-Gros et Camille Savary évoquent des problématiques communes de manque de temps et de formation de la communauté enseignante, une réticence de certains à considérer cette thématique comme une priorité avec « des difficultés de dépasser le cercle de personnes déjà engagées. » Concernant la mise en place d’enseignements sur cette thématique, elles ajoutent qu’il est difficile de « trouver de la place pour ces sujets ». Enfin, Camille Savary et Laure Pillot soulèvent la question de la pérennisation de l’engagement des membres, des ressources humaines dédiées et de crédits alloués. Ces retours sont appuyés par le rapport de l’association The Shift Project où les initiatives sur ces thématiques sont souvent entravées par un manque de soutien institutionnel et de complexités administratives (The Shift Project, 2019). En effet, Marianne Lefebvre souligne la nécessité d’interagir avec de nombreux services pour l’organisation d’un concours, par exemple pour rédiger des règlements conformes aux exigences du service juridique de l’Université d’Angers. 

Les leviers utilisés pour convaincre, engager, initier

Les défis et les freins vus précédemment n’empêchent pas ce groupe d’enseignantes de trouver des leviers pour toucher la communauté universitaire. Cécile Grémy-Gros, Camille Savary et Laure Pillot utilisent principalement la sensibilisation via leurs actions comme des animations de type fresques ou des présentations, « j’ai pu présenter la démarche globale au personnel lors de moments de convivialité ou de présentations plus formelles (bureau de direction, commission pédagogique), « Nous avons proposé une journée de convivialité avec deux fresques au choix (climat et biodiversité) […] Nous avons aussi organisé un jeu “ma petite planète”, sur 3 semaines où étudiants et personnels s’affrontaient sur des défis écologiques en équipe (manière ludique et collective d’agir) », « Avec Sigrid Giffon et Christel Stien, nous avons proposé des animations lors de la Journée mondiale des sols ». Marianne Lefebvre a souhaité, en concertation avec la direction de l’IUT, pour cette année limiter le concours aux étudiants de BUT3 GEA, au titre de pilote. « Pour lever les freins, il est en effet bien de pouvoir communiquer sur une première expérimentation à petite échelle. »

Perspectives

Des perspectives concrètes pour chacune des enseignantes se dessinent. Si l’expérimentation du concours DDRS initié par Marianne Lefebvre est concluante, une réflexion est en cours pour que tous les étudiants de l’UA puissent y participer, dans le cadre d’un cours ou via un budget participatif par exemple. Cécile Grémy-Gros vise à obtenir le label DD&RS à long terme pour Polytech Angers et travaille avec d’autres personnels pour que l’UA puisse également l’obtenir. Laure Pillot souligne l’importance des initiatives concrètes telles que le compostage, tout en espérant une mobilisation similaire pour l’adaptation des contenus d’enseignement au changement climatique et à la crise de la biodiversité, favorisant ainsi une approche transversale au sein de l’université. Camille Savary espère une plus grande implication collective au sein de son département, passant par une sensibilisation accrue et une formation des collègues : « J’espère qu’une vraie communauté engagée va se monter au sein de l’UA afin d’avancer collectivement et être davantage force de propositions, qu’il y ait une vraie émulation pluridisciplinaire et des ressources humaines pour enseigner ces enjeux. »

Marianne Lefebvre, Cécile Grémy-Gros, Camille Savary et Laure Pillot illustrent la diversité des approches et des actions inspirantes que peuvent proposer les enseignants-chercheurs en matière de transition écologique et sociétale. Elles ont eu l’occasion de collaborer ou de réfléchir ensemble à ces questions, avec d’autres collègues formant un réseau informel au sein de l’UA. Leur engagement collectif et leur détermination soulignent l’importance cruciale de l’implication des enseignants dans des projets sur la transition écologique dans l’enseignement supérieur (Ferrarese et al., 2020). Ainsi, pour assurer le succès à long terme de ces initiatives, un soutien institutionnel et des ressources adéquates sont indispensables (Jouzel, 2020).

Bibliographie

Cadrage et préconisations du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche « Former à la transition écologique pour un développement soutenable les étudiants de 1er cycle » (MESRI, 2023)

Jouzel, J. (2018). La transition écologique dans l’enseignement supérieur : enjeux et perspectives. Bulletin de l’Académie des Sciences, 2(3), 127-135.

The Shift Project (2019). Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat former les étudiants pour décarboner la société.