Nous sommes allés à la rencontre de Caroline Mignon, enseignante à l’ESTHUA et passionnée par la transition écologique. Avec un parcours riche dans le domaine du tourisme et un engagement fort pour un mode de vie durable, Caroline nous partage son expérience et ses réflexions sur les défis actuels du secteur. Elle nous parle de son passage de la vie parisienne à la campagne angevine, de son rôle à l’ESTHUA, et de ses aspirations pour un futur plus respectueux de l’environnement et des valeurs humaines.

Bonjour Caroline, peux-tu te présenter en mettant en lumière ton parcours personnel et professionnel ?

Je suis Caroline Mignon et je suis arrivée en région angevine il y a deux ans et demi avec un projet qui me tient à cœur : celui de créer un lieu d’accueil et d’animation locale mettant en avant la transition écologique et la préservation de la biodiversité. Mon parcours professionnel a toujours été ancré dans le domaine du tourisme.

Après douze ans passés à gérer le marketing et la communication d’un réseau d’accueil touristique, j’ai ressenti le besoin de donner un nouvel élan à ma carrière. C’est ainsi que j’ai décidé de reprendre des études pour pouvoir prendre la direction d’une association. Après l’obtention de mon master pour lequel j’ai consacré mon mémoire au développement durable du tourisme urbain, j’ai saisi l’opportunité de diriger l’association pour le tourisme équitable et solidaire, une étape professionnelle marquante.

Au-delà de mon parcours professionnel, notre décision de quitter la vie parisienne pour nous installer à la campagne a été motivée par le besoin de vivre en accord avec nos valeurs. Nous aspirions à un mode de vie plus proche de la nature, avec moins de stress et davantage de contact humain. C’est un choix qui peut sembler audacieux, un pari sur l’avenir, mais nous sommes heureux de l’avoir fait. Aujourd’hui, nous nous épanouissons pleinement dans cette nouvelle vie, plus proche de nos aspirations profondes.

Depuis cette année, tu es enseignante à l’ESTHUA. Qu’est-ce qui t’a spécifiquement attiré vers l’enseignement ?

Ce qui m’a surtout motivée, c’est mon amour pour le travail avec les jeunes. Au début de ma carrière, j’étais animatrice en colonie de vacances, et j’ai toujours adoré cet aspect. L’enseignement m’a toujours attirée, mais je pensais le faire plutôt en deuxième partie de carrière. L’opportunité s’est présentée lorsque l’ESTHUA m’a contactée, en lien avec ma présidence d’Acteurs du tourisme durable. Je n’ai pas hésité longtemps, car j’avais vraiment envie d’enseigner. Arrivée à cinquante ans, je me suis dit que mon expérience terrain pourrait intéresser les jeunes et les aider à comprendre les enjeux actuels de nos métiers. Le secteur du tourisme, que j’aime toujours autant, doit évoluer pour perdurer.

Transmettre et être au contact des jeunes était une évidence pour moi à ce moment-là. Je souhaitais partager mes expériences pratiques plutôt que de rester dans la théorie. C’est pourquoi, parallèlement au développement de notre lieu d’accueil, j’ai accepté de prendre la présidence d’Acteurs du tourisme durable en 2021 puis l’enseignement à l’ESTHUA en 2023, car cela me permettait de rester connectée au terrain et de partager concrètement mes expériences passées et actuelles avec les professionnels et les étudiants.

Comment perçois-tu les transitions en cours dans la société et notamment dans le domaine du tourisme ?

Les transitions vers une société plus durable sont indispensables, mais elles ne sont pas toujours perçues comme telles par tous. Actuellement, je constate une polarisation entre ceux conscients de la nécessité du changement et prêts à imaginer de nouvelles approches, et ceux plus réticents, parfois par peur du changement ou par confort dans le statu quo. Il est essentiel de favoriser le dialogue entre ces groupes pour progresser dans la bonne direction sans exclure personne.

En ce qui concerne le tourisme, les enjeux sont similaires. Certains acteurs sont conscients de l’importance de la transition vers un tourisme durable, tandis que d’autres préfèrent minimiser (voire ignorer) les défis qui se posent. Le tourisme durable est particulièrement sensible aux questions environnementales car il dépend de la biodiversité et du climat pour offrir des expériences attrayantes. De plus, le tourisme n’est pas vital pour la survie humaine, ce qui le rend plus susceptible d’être affecté par les restrictions environnementales à venir. Il est donc crucial d’agir dès maintenant pour transformer nos pratiques et préserver à la fois notre métier et la capacité de l’humanité à habiter cette planète de manière durable.

Et les étudiant.e.s, comment perçoivent-ils ces transitions ?

Je pense que ça leur fait peur et je les comprends, parce que les défis qui les attendent sont grands. Ils ont vingt ans et toute une vie devant eux. Ils se demandent pourquoi ils devraient se priver, surtout quand ceux d’avant ne l’ont pas fait. Je comprends tout à fait ces arguments. Je n’ai jamais dit à aucun étudiant : “Vous ne devriez plus prendre l’avion.” J’espère qu’ils pourront le faire un peu, car voyager et rencontrer d’autres cultures est enrichissant. Mais je ne soutiens pas cette vision polarisée du tout ou rien, du toujours ou jamais.

Le bon chemin se situe probablement quelque part entre les deux, dans une nuance. Je leur souhaite donc de pouvoir encore voyager en avion, mais peut-être moins souvent et pour des raisons différentes. Il faudra peut-être adapter nos modes de vie pour que ces voyages, moins fréquents, soient plus significatifs et propices aux rencontres authentiques. Je leur souhaite vraiment de pouvoir vivre ces expériences, tout comme nous avons eu la chance de le faire.

Selon toi, quels sont les principaux enjeux auxquels les enseignants et étudiants sont confrontés aujourd’hui ? 

Il est essentiel, je pense, d’intégrer ces questions dans tous les enseignements. Il y a un réel enjeu à former les enseignants et à les sensibiliser à ces sujets pour qu’ils puissent être les relais efficaces de ces enjeux. Tout comme une entreprise doit être exemplaire dans le tourisme, l’’enseignement du tourisme doit l’être également. On ne peut pas demander à une organisation de sensibiliser ses clients (ou ses étudiants) si elle-même n’applique pas ce qu’elle prône.

De la même manière, dans l’enseignement supérieur, je pense qu’il est crucial de se poser la question de la réduction de l’empreinte environnementale et sociale de l’établissement. L’empreinte environnementale englobe la biodiversité et la décarbonation des activités. Se focaliser uniquement sur la décarbonation ne résout qu’une partie du problème. La biodiversité est cruciale pour notre existence. Ainsi, les établissements d’enseignement supérieur devraient intégrer ces questions dans toutes leurs activités, y compris l’enseignement, le fonctionnement, l’enseignement à distance, les relations internationales, etc.

Pour cela, il est important de commencer par évaluer son bilan carbone et de comprendre ses consommations, notamment en eau et en énergie, afin de chercher des moyens de les réduire. Il est essentiel de montrer l’exemple avant d’enseigner ces principes à nos étudiants.

Je suppose qu’il y a des commissions qui travaillent sur ces questions. Très certainement, l’Université d’Angers établit son bilan carbone. Je ne suis pas au courant, mais ce serait intéressant de le savoir. En tout cas, je pense qu’il est important de commencer par être exemplaire. On ne peut pas dire “Faites ce que je dis, pas ce que je fais”.

Une lettre ouverte à propos des transitions socio-environnementales a été adressée aux candidats lors des élections universitaires[1]. J’ai trouvé que c’était une démarche très positive, surtout parce que, au-delà d’une simple lettre ouverte, c’était constructif : proposer des solutions. Il y avait de très bonnes propositions[2], vraiment excellentes, et tout est en place pour agir. Ce n’est pas seulement une question de moyens ou de compétences. Ce n’est pas une question de “nous ne sommes pas compétents pour cela” ou “ce n’est pas de notre ressort”. Il y a beaucoup de choses que l’on peut faire sans avoir beaucoup de moyens ni de compétences, mais avec de la volonté. On pourra donc juger en fonction de la volonté de faire. Je pense que toutes les matières peuvent intégrer ces sujets. Je ne dis pas qu’il faut se concentrer uniquement là-dessus, car il y a beaucoup d’autres choses à apprendre, mais ces enjeux devraient être intégré de manière systématique dans tous les enseignements.

Il est important de mettre l’accent non seulement sur l’aspect environnemental et écologique, mais également sur le volet social. Si l’on néglige ces questions sociales et sociétales, on ne résout qu’une partie du problème : la transition écologique doit concerner tout le monde. Il est crucial que cela ne soit pas élitiste, car cela serait contre-productif. Il faut favoriser l’inclusion de chacun dans ces questions et permettre à chacun de trouver sa place, indépendamment de la génération, du métier, de l’origine, et de toute autre différence. Il est également essentiel de montrer que la transition écologique ne peut se faire sans une évolution sociétale, notamment en repensant le rapport au travail, le temps de travail, l’accessibilité géographique au travail, etc. Nous savons également que la transition écologique implique des changements profonds dans nos modes de consommation, lesquels influencent directement notre situation financière. Comment mangeons-nous ? Comment consommons-nous ? Comment sommes-nous influencés par la publicité et les discours ? Comment pouvons-nous développer un esprit critique pour ne pas être sous l’emprise de la publicité et des médias ?

Les indicateurs sociaux sont indispensables pour intégrer cette transition écologique car sans eux, une grande partie de la population serait laissée de côté. Il faut prendre en compte les contraintes quotidiennes de chacun. Les préoccupations économiques et sociales doivent être prises en compte concomitamment.

Toutes ces questions font partie de la transition écologique. Il ne s’agit pas seulement d’une transition environnementale, mais aussi d’une transition sociétale.

Comment penses-tu que l’ESR peut mieux préparer les étudiants à être des acteurs de changement dans la société ?

Pour mieux préparer les étudiants à devenir des acteurs du changement dans l’enseignement supérieur, il est essentiel de leur montrer que le changement est utile et va dans la bonne direction. Il faut leur démontrer l’utilité des initiatives et leur ouvrir des perspectives sur les voies alternatives. Il est nécessaire de les faire travailler sur de nouveaux récits, sur une autre manière de concevoir la société qui serait compatible avec les limites planétaires et qui favoriserait le bien-être des individus.

Il s’agit de construire une vision où il existe un plancher social assurant le bonheur et la sécurité des gens tout en respectant un plafond écologique qui ne dépasse pas les limites planétaires. Il faut préparer les étudiants en leur montrant que ce n’est pas une contrainte, mais surtout une opportunité pour réinventer nos vies et nos sociétés de manière plus raisonnable.

Il me semble important de ne pas adopter une approche alarmiste. Les étudiants sont conscients de l’état actuel des choses, mais ils doivent être informés de manière transparente. Commencer par un état des lieux clair des enjeux contemporains permet à tous de partir sur la même base d’information. Ensuite, il s’agit de se concentrer sur comment améliorer les choses et adapter nos pratiques professionnelles en tenant compte de ces enjeux, tout en gardant les sujets intéressants et pertinents pour leur futur métier.

Comment intègres-tu les transitions au sein de tes cours ?

Je place la notion de transition au cœur de mes enseignements, que ce soit dans le cadre du développement durable ou de la responsabilité sociétale des entreprises. Je m’efforce de montrer aux étudiants que le changement est possible, souhaitable et même apporte des améliorations par rapport à ce que nous avons connu auparavant. Il est essentiel de gérer ce changement en surmontant la résistance, en démontrant que le changement peut améliorer la qualité de vie au travail et les performances économiques des organisations.

L’objectif est de créer un cercle vertueux où les initiatives responsables améliorent l’image de l’entreprise, réduisent les coûts et rendent les employés fiers de leur travail. La transition est constamment abordée tout au long de mes cours, du début à la fin.

De plus, j’ai eu l’opportunité d’organiser des activités de sensibilisation telles que des Fresques du climat pour les étudiants. Ces initiatives visent à doter les étudiants d’informations fiables sur les enjeux contemporains et à les conscientiser sur l’état actuel des choses. Je m’efforce de déconstruire les croyances et les certitudes en utilisant des données scientifiques reconnues afin d’offrir des connaissances solides et sourcées à mes étudiants.

En expliquant les liens de cause à effet derrière les actions, je cherche à rendre évidente la nécessité de ces actions. Comprendre le pourquoi et le comment des comportements responsables permet aux étudiants de voir la pertinence et la portée de leurs actions dans un contexte plus large.

En termes de collaboration interdisciplinaire, comment tes cours s’intègrent-ils ou dialoguent-ils avec d’autres disciplines pour aborder les transitions sociétales ?

Ils ne dialoguent pas ou peu dans mes cours jusqu’à présent. En raison de ma position de maîtresse de conférences associée et de mon manque de familiarité avec les autres programmes d’enseignement, je ne suis pas toujours informée de ce qui est enseigné dans d’autres cours. Cependant, je crois fermement à l’importance de la cohérence dans l’enseignement, surtout pour le bénéfice des étudiants et j’appelle de mes vœux plus de porosité entre les enseignements.

Il est crucial que les différents cours et disciplines soient alignés afin de ne pas induire de confusion chez les étudiants. Par exemple, si certains cours vantent les avantages des croisières sans aborder leurs impacts écologiques, tandis que mes cours soulignent les défis écologiques et sociaux posés par ce mode de voyage, cela peut créer une dissonance chez les étudiants. Ils pourraient se demander quel est le message à retenir.

Je pense qu’il est important de s’assurer d’une certaine cohérence dans les messages transmis aux étudiants, que ce soit en clarifiant les différents points de vue ou en s’alignant sur une approche commune. Cela pourrait nécessiter une collaboration plus étroite entre les enseignants et les départements pour harmoniser les contenus et les messages transmis aux étudiants.

Je ne doute pas qu’il existe des commissions ou des groupes de travail qui abordent ces questions d’harmonisation et de cohérence dans les programmes d’études. Il est essentiel de veiller à ce que les différents aspects des transitions sociétales soient abordés de manière complémentaire et alignée dans l’ensemble de l’enseignement supérieur.

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As-tu des recommandations pour intégrer efficacement les enjeux globaux dans les cursus ?

Commencer systématiquement par sensibiliser tous les étudiants à un moment donné en organisant une Fresque du Climat me semble être un premier pas pertinent. Cet atelier est un outil efficace pour susciter l’intérêt et la compréhension des enjeux environnementaux. Ensuite, mettre en place des sessions régulières sur le climat et la biodiversité serait une bonne initiative. Cela implique que les enseignants et le personnel administratif se positionnent en tant qu’animateurs pour rendre les établissements autonomes dans l’organisation de ces séances de sensibilisation en interne, impliquant étudiants et personnels.

Récemment, une circulaire ministérielle[3] est passée imposant de former tous les étudiants de premier cycle aux enjeux de la transition écologique, sur au moins 30 heures de cours. C’est une obligation que je salue car cela garantit un socle commun de connaissances fiables et partagées, éloignant les informations contradictoires des réseaux sociaux.

Je trouve qu’il est bien pensé d’avoir 30 heures de formation sur ces questions. Les modules que j’enseigne durent généralement entre 12 et 18 heures. Cette approche permet d’établir un état des lieux global au début, puis d’approfondir selon la spécialité des étudiants, en intégrant également la réalité professionnelle, comme dans les entreprises. C’est une démarche très pertinente. Il reste à voir comment cette directive sera appliquée avec les décrets d’application à venir.



[1] Climat UA. (2023, 18 décembre). Lettre ouverte à Christophe Daniel, Françoise Grolleau et leurs équipes, au sujet des transitions socio-environnementales. https://blog.univ-angers.fr/climat/

[2] Climat UA. (2024, 16 janvier). Les propositions faites par des personnels de l’UA pour le climat et la protection des écosystèmes. https://blog.univ-angers.fr/climatpropositions/

[3] Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. (2023, juin). Cadrage et préconisations du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. « Former à la transition écologique pour un développement soutenable les étudiants de 1er cycle ». https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-10/note-de-cadrage-formation-des-tudiants-de-1er-cycle-pdf-29688.pdf