Auteurs :
Anne MOREL, LAMPA, ENSAM, 2 Bd du Ronceray, 49035 Angers, France
Mohamed RAMDANI, ESEO-IETR, 10 Boulevard Jeanneteau – CS 90717, 49009 ANGERS Cedex 1, France
Accompagner la transformation pédagogique à l’heure du numérique est un enjeu de taille pour les établissements d’enseignement supérieur. Comme le soulignent certains rapports gouvernementaux (Reuter, 2011), l’innovation n’est pas toujours assez soutenue, voire parfois freinée. Les points de blocage sont multiples (lenteur institutionnelle, continuité de la politique pédagogique, problématique d’appropriation par les partenaires éducatifs…). Néanmoins les systèmes éducatifs doivent innover (Tricot, 2017), et des équipes, d’abord pionnières, s’attaquent régulièrement à de nouveaux chantiers de transformation pédagogique et numérique (Rollin Jenouvrier, 2018).
Le risque existe que le passage de l’« expérimentation prototype » à la « mise en production » ne se fasse pas. Un rapport récent de l’IGAENR (IGAENR, 2018) aborde de façon précise le sujet de la mutation des établissements vers l’innovation pédagogique.
Le rôle de la gouvernance des établissements a été discuté dans un des ateliers organisés dans le cadre de la journée AIPU du 28 mars 2018. Les échanges ont été organisés autour des questions suivantes :
- Qu’est-ce que les acteurs (enseignants / étudiants) attendent d’une gouvernance d’établissement pour les accompagner dans l’évolution de pratiques ?
- Comment se préparer en tant que gouvernance pour accompagner le changement ?
- Droit à l’expérimentation pédagogique
Une trentaine de participants a fait émerger deux enjeux majeurs : celui de la réussite de l’appropriation de tous les acteurs de la politique de transformation pédagogique et celui du maintien de l’engagement. Une synthèse des échanges est présentée dans cet article.
1. Appropriation – Partage de la vision
L’innovation pédagogique comme toute innovation ou transformation peut susciter parfois une certaine résistance au changement, voire un blocage. Quand on parle d’innovation pédagogique, on pense souvent et uniquement au seul acteur qu’est le tuteur pédagogique. Or, il s’avère que pour réussir une véritable transformation pédagogique, il faut impliquer tous les acteurs de la chaîne de l’apprentissage, de la gouvernance jusqu’à l’apprenant. Aucun acteur ne dispose seul des compétences requises pour une vraie réussite.
En effet, de l’avis de tous les participants au colloque, la gouvernance doit afficher clairement sa conviction et sa détermination pour une vraie transformation pédagogique. Elle doit afficher une politique forte et placer l’innovation pédagogique en haut de l’échelle de ses stratégies. Elle doit se l’approprier et la traduire en une ligne directrice claire. La transformation pédagogique doit être LE projet d’établissement avec une culture commune et des valeurs partagées.
Le partage d’une vision commune de la transformation pédagogique est la clé de sa réussite. Tous les acteurs doivent participer à sa co-construction : dirigeants, enseignants, apprenants, services…, une co-construction multidimensionnelle.
Pour une vision acceptée et comprise par tous, et pour un partage de vision commune, il faudrait :
- Créer des espaces qui permettent d’engager des échanges continus entre les différents acteurs et les services,
- Permettre de l’inter-opérabilité et du partage de l’expérience,
- Faciliter de la coopération et des mutualisations,
- Impliquer les apprenants dans les réflexions pédagogiques,
- Impliquer également les professionnels pédagogiques,
- Faire sortir les compétences internes souvent cachées et permettre l’externalisation,
- Impliquer la direction,
- Conscientiser les besoins,
- ……
Toute absence de politique pédagogique claire pourrait créer à terme des lenteurs, et des résistances au changement.
Le principe de l’innovation pédagogique doit valoir pour tous : de la gouvernance jusqu’à l’apprenant.
2. Maintenir l’engagement
Les appels à projets locaux, à l’échelle des COMUE ou nationaux, peuvent être des actionneurs efficaces de l’innovation pédagogique à l’ère du numérique. Néanmoins la durée de vie de chaque projet est limitée, avec des temporalités souvent réduites à 24 mois. La question du maintien de l’engagement de la communauté éducative se pose alors.
Le risque est en effet le désengagement des différents partenaires, mais aussi l’échec de la logique d’essaimage et de transfert que veut aussi favoriser le financement des initiatives de transformation pédagogique. Pour maintenir l’engagement, un axe de travail doit donc être relatif à la pérennisation sur le long terme du fruit des appels à projets. Les retours d’expérience et les réflexions des membres de l’atelier indiquent clairement que plusieurs leviers doivent être combinés.
Les leviers possibles
Le premier levier est relatif aux ressources humaines et financières. Si les investissements initiaux peuvent être importants et prévus dans le budget initial de l’appel à projet (coût développement, investissement matériels), le suivi des projets par des ingénieurs ou des conseillers pédagogiques, des assistants multimédia et audiovisuels dans le cadre de services d’appui (services universitaires d’appui pédagogique, cellules TICE) doit être anticipé dans la durée. Les coûts induits sont essentiellement liés aux charges salariales. Les enseignants producteurs de nouvelles ressources doivent également pouvoir bénéficier d’heures complémentaires ou de décharge de service, dans le cadre d’un budget pluriannuel dédié.
Deuxième levier : la valorisation des initiatives de développement pédagogique doit être revisitée avec la prise en compte institutionnelle de l’engagement. Ces investissements des enseignants chercheurs doivent être des éléments de progression de carrière. Pourquoi ne pas envisager une publication pédagogique obligatoire dans le cadre de l’accès à un poste de Professeur des Universités ? Pourquoi ne pas créer l’équivalent en pédagogie d’une prime d’encadrement doctoral et de recherche ? En parallèle, la valorisation par les étudiants des bonnes pratiques pédagogiques est importante, via des retours réguliers sur les enseignements (questionnaires d’évaluations des formations).
Par ailleurs, et c’est le troisième levier, la mesure et la mise en valeur des résultats obtenus sont importantes. Une évaluation des progrès réalisés par le biais de formalisation d’objectifs et d’indicateurs associés est indispensable. La communication des résultats obtenus doit être un facteur d’attractivité des formations. Un fonctionnement en réseau inter établissements peut être un atout pour partager les bonnes pratiques et mutualiser les ressources.
Ceci, et les échanges ont abouti à cette conclusion, ne peut se concrétiser sans un management de proximité. Il doit être à même de capter les signaux faibles annonciateurs de freins potentiels dans la mise en place des projets d’innovations, de renforcer le sentiment d’appartenance à la structure, et de permettre une traduction locale de la stratégie de formation de l’établissement.
Bibliographie :
Tricot, A. (2017). L’Innovation Pédagogique, Mythes et réalités, Paris : Retz.
Reuter, Y., Bart, D., Boulanger, L., Condette, S., Lahanier-Reuter, D. (2011). Rapport sur les expérimentations liées à l’article 34 de la loi d’orientation et de programme pour l’école de 2005, Rapport remis au Haut Conseil de l’Education, Paris. Repéré à www.afef.org/blog/espace.php?board=14&document=166
Rollin-Jenouvrier, L. (2018). Blog de Lydie ROLLIN-JENOUVRIER, ANSTIA, 3 juin 2018 [Billet de blog].
Dulbecco, P., Beer, M.C., Delpech de Saint-Guilhem, J., Dubourg-Lavroff, S., Pimme, E. (2018). Les innovations pédagogiques numériques et la transformation des établissements d’enseignement supérieur, Rapport IGAENR n°2018-049, juin 2018. Repéré à https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-innovations-pedagogiques-numeriques-et-la-transformation-des-etablissements-d-enseignement-47811