Auteurs :
Patrick ALBERS – enseignant-chercheur en informatique – ESEO, 10 Boulevard Jean Jeanneteau, 49100 Angers
Anne AVELINE – Directrice de l’Enseignement – ESA, 55 Rue Rabelais, 49007 Angers
Myriam REVEILLERE – Enseignante en Statistiques et recherche opérationnelle – ESA, 55 Rue Rabelais, 49007 Angers
Résumé :
Cet article dresse un bilan de l’usage du numérique dans l’enseignement. Afin de recueillir ces usages, deux questionnaires ont été soumis auprès de cinq établissements angevins du supérieur (l’Université d’Angers et les quatre écoles d’ingénieurs angevines : Arts et Métiers, ESA, ESAIP, ESEO), le premier questionnaire étant destiné aux étudiants et le second au personnel de ces établissements.
À la suite de la présentation des résultats de ces questionnaires, les participants des ateliers ont ensuite été amenés à travailler sur quatre questions :
- Prendre en compte les profils des étudiants/apprenants dans la pédagogie ? Et comment ?
- Qui, quand, comment, pourquoi accompagner les étudiants à acquérir une culture Web ?
- Qui, quand, comment former les enseignants aux usages pédagogiques du numérique ?
- Comment faire collaborer enseignants et étudiants dans la réflexion pédagogique ?
L’article a pour objectif de présenter les résultats des questionnaires et les échanges qui ont nourri l’atelier.
1. Introduction
Le numérique fait aujourd’hui partie de notre quotidien et a modifié considérablement notre perception de la société. Nos activités quotidiennes comme notre manière de communiquer, la recherche d’informations ou encore le paiement de nos factures n’ont pas été épargnées par le processus de numérisation des systèmes. Par conséquent, les questions de l’utilisation du numérique et de la transformation des méthodes d’apprentissage se posent inéluctablement dans nos enseignements.
Différentes études [4] ont montré que si la mémorisation est la même sur écran que sur papier, la lecture papier demeure plus facile que sur écran, par le fait que le processus de lecture sur écran est plus complexe que celui sur papier [5]. Cependant, l’apport du numérique semble indéniable. Par exemple, une étude [1] montre que les élèves de classe du primaire habitués à l’usage du numérique comprennent plus vite et mieux ce qu’ils lisent et ceci indépendamment du support. En répétant l’information d’un texte sous une autre forme, le numérique aide notamment à la mémorisation [2]. Si l’emploi du numérique semble par conséquent bénéfique, il n’en reste pas moins que l’élaboration d’un support numérique prend beaucoup plus de temps et reste de manière générale plus complexe dans sa mise en œuvre [2].
L’effet principal des technologies est d’apporter des environnements pédagogiques plus proches de la manière dont l’individu apprend. En particulier, la technologie permet de mettre en place facilement des approches pédagogiques collaboratives qui permettent d’inter-apprendre [3]. Le fait d’utiliser le numérique permet de faciliter l’apprentissage en proposant une diversification plus importante des outils pédagogiques. Plus proche des habitudes des étudiants, le numérique permet également de les motiver davantage. Enfin, mettant en jeu très souvent des compétences transversales, le numérique diminue le cloisonnement des disciplines.
Nous allons dans un premier temps présenter les résultats des questionnaires envoyés aux personnels et aux étudiants des établissements angevins afin d’alimenter les discussions de l’atelier. Puis nous présenterons dans un second temps les réflexions des différents participants de cet atelier, avant de conclure.
2. Usages du numérique: état des lieux des pratiques et attentes du corps professoral
Deux questionnaires ont été envoyés par courriel aux cinq établissements angevins que sont l’Université d’Angers et les quatre écoles d’ingénieurs angevines : Arts et Métiers, ESA, ESAIP et ESEO. Le but de ces deux questionnaires étaient d’établir un bilan de l’usage du numérique ainsi que les attentes du corps professoral. Le premier questionnaire a été adressé aux personnels de ces établissements auquel 183 personnes ont répondu (dont 132 enseignants) représentant 3,2 % du nombre total du personnel. Le deuxième questionnaire a été envoyé à l’ensemble des étudiants des établissements concernés ; 863 personnes ont répondu, ce qui représente 10,5 % du nombre total d’étudiants.
En ce qui concerne le personnel, les champs disciplinaires des répondants des différents établissements sont relativement équilibrés en termes de répartition (1/4 en sciences économiques et sociales, 1/4 en sciences fondamentales, 1/4 en sciences de l’ingénieur, 1/8 en Lettres et langues). Il est à noter que 75% des répondants ont plus de 40 ans.
Graphique 1 : Âge du personnel ayant répondu au questionnaire
Nous présentons dans un premier temps la synthèse des résultats du questionnaire adressé aux personnels, puis les résultats du questionnaire adressé aux étudiants.
Un usage limité mais en progression des outils du numérique par les enseignants
Globalement les répondants utilisent peu le numérique dans leurs activités pédagogiques à part les plates-formes pédagogiques comme on peut le constater sur le graphique suivant :
Graphique 2 : Outils numériques utilisés par les enseignants dans leurs cours
Les enseignants qui utilisent déjà des outils numériques sont plutôt favorables à faire évoluer leur pédagogie en en incluant davantage car ils pensent que l’utilisation des technologies numériques peut vraiment être un facteur d’amélioration des apprentissages par l’étudiant et apporte plus de motivations si celles-ci sont utilisées à bon escient et avec parcimonie. Ils trouvent que les étudiants semblent en effet plus réceptifs, motivés, et ont une meilleure qualité d’apprentissage et de meilleurs résultats. Ils ressentent de plus en plus de la part des étudiants un besoin et une demande d’un changement de pratiques pédagogiques.
Pour faire évoluer leurs pratiques pédagogiques, les enseignants, en 1er lieu, se débrouillent tout seul (66%), bénéficient de l’aide d’une cellule pédagogique dédiée (49%) ou se sont fait aider par des collègues (33%). Ils tiennent compte (à 77%) des remarques constructives des étudiants mais décident seul ou avec des collègues de ce qu’il faut modifier.
Ceux qui utilisent peu les outils numériques sont moins convaincus de leurs effets sur l’apprentissage et les résultats des étudiants. Ils ne ressentent pas un besoin des étudiants en termes d’évolution de leurs pratiques et n’ont pas le sentiment que les étudiants pourraient être force de proposition.
De manière générale, les enseignants des établissements enquêtés qui ont répondu au questionnaire font le constat qu’il existe peu de groupes de travail sur la pédagogie associant les étudiants.
Un usage raisonné du numérique par les étudiants
Ont principalement répondu au questionnaire les étudiants de l’Université (37%), les étudiants de l’ESA (28%) puis ceux de l’ESEO (24%). Ces taux de réponses sont évidemment liés à l’effectif total des étudiants dans chacun des établissements.
Les réponses proviennent principalement d’étudiants Ingénieur (57%), puis d’étudiants en Licence (23%) et en Master (9%) avec une répartition tout à fait équilibrée entre les étudiants en BAC +1, BAC +2, BAC +3, BAC +4 et BAC +5 et plus. L’âge moyen des répondants est de 21 ans.
Les étudiants ont peu l’occasion d’utiliser les outils numériques dans le cadre de leur formation. Cependant, par ordre d’importance, les outils cités sont : les plates-formes numériques, les tutoriels vidéos, les smartphones, les réseaux sociaux et enfin les tableaux blancs interactifs.
Deux tiers des étudiants ayant répondu au questionnaire pensent que l’utilisation des technologies du numérique facilite les apprentissages, 40% estiment que ces technologies sont un plus et sont source de motivation, 30% les jugent indispensables car elles font déjà partie de leurs habitudes d’apprentissage. 21% des étudiants pensent que ces technologies n’apportent pas beaucoup plus que les cours traditionnels.
Les étudiants ont pratiquement tous été formés au moins occasionnellement à l’utilisation des outils numériques. Leurs envies ou besoins en termes de nouvelles technologies en cours sont les suivantes :
Graphique 3 : Technologies que les étudiants aimeraient avoir le plus souvent en cours
Même si les étudiants pensent à 66% que les enseignants sont à leur écoute sur les questions de pédagogie, moins de 20% d’entre eux demandent l’utilisation d’outils spécifiques. Par contre, la moitié d’entre eux a l’occasion de donner régulièrement un avis sur les modalités pédagogiques employées. 1/3 des enseignants considère que les étudiants sont force de proposition.
À la question ouverte ‘Qu’est-ce que pour vous l’innovation pédagogique ?’, les étudiants ont répondu : des méthodes et/ou outils :
- pour permettre plus d’interaction, moins de passivité, plus d’autonomie, un meilleur apprentissage et une meilleure mémorisation des cours,
- pour faciliter le suivi individuel des compétences,
- pour avoir des cours plus visuels et modulables, personnalisés et adaptés au rythme de chaque étudiant.
Cependant pour certains étudiants, l’innovation pédagogique ne nécessite pas forcément des outils numériques mais il s’agit plutôt de bien enseigner avec des outils disponibles, simples d’utilisation et qui apportent vraiment un plus !
3. Implication des personnels éducatifs et apprenants dans l’évolution de l’usage du numérique en pédagogie
Les retours synthétisés ci-dessous sont le fruit d’échanges entre 70 personnels d’établissements d’enseignement supérieur et 5 apprenants.
Apports du numérique dans l’enseignement: flexibilité et individualisation
Le degré d’homogénéité des profils peut être apprécié via un test de positionnement permettant d’adapter le parcours au projet professionnel et conduire à avoir une approche différenciée, via la flexibilité du contenu de formation pouvant passer par la flexibilité du dispositif rendue possible grâce à l’usage du numérique : une mise à disposition des ressources en fonction du niveau et de l’objectif à atteindre permet cette adaptation de la formation en individualisant le parcours.
La gestion de l’hétérogénéité des profils représente un atout si les compétences sont mutualisées, pour l’enrichissement et le partage.
La mise en place complémentaire de soutien, de tutorat, ou de recours à des temps de remédiation sont à doser et mettre en place tôt dans l’année de façon à maintenir la motivation qui passe par le gain de confiance en soi via l’acquisition de compétences. Dans tous les cas, il y a un vrai besoin de suivi individualisé.
Il ne faut pas négliger non plus l’explicitation, en rappelant les objectifs, en donnant des clés méthodologiques, et donnant du sens en resituant les apprentissages au regard du projet personnel de l’apprenant ; que ce soit selon l’institution concernée par les pairs, par un enseignant ou un conseiller pédagogique, ces dimensions doivent être portées.
La culture Web et les apprenants
La question de la pluralité de la culture web se pose tout d’abord. S’il existait plusieurs cultures, l’idée serait de considérer qu’un socle de connaissance doit être dispensé, avec la possibilité de se spécialiser en fonction des besoins de chacun. A priori il est ressorti qu’il est préférable de considérer un accompagnement tout au long de la vie avec des apports spécifiques dès le collège voire dès le primaire ! La question qui subsiste est de savoir quel changement il faudrait opérer dans l’enseignement supérieur.
Un autre aspect apparaît comme un frein au développement de la culture Web. En effet, une des difficultés est qu’il existe un nombre d’acteurs très importants : enseignants, documentalistes, étudiants tuteurs, professionnels intervenants, services TICE, etc.
Enfin, les apports qui paraissent incontournables sont l’aspect historique du Web et la sensibilisation aux questions des droits d’auteur et de l’éthique. Enfin la question se pose de savoir s’il faut évaluer cette acquisition de culture, via par exemple le C2I.
Faut-il former les enseignants aux usages pédagogiques du numérique ?
A priori tous les enseignants sont concernés, qu’ils soient nouvellement en fonction, expérimentés, et même réfractaires ! La richesse réside(ra) justement dans le partage des différents expériences et la confrontation des avis. Ces partages et formations peuvent être pilotés par les conseillers, les ingénieurs pédagogiques, et par des enseignants via le retour d’expérience.
La valorisation des enseignants via du compagnonnage avec de enseignants tuteurs paraît nécessaire et bien correspondre au besoin.
Au delà des usages, la question suivante reste ouverte : faut-il aller vers un parcours reconnu et faisant l’objet d’échanges en entretien annuel ? Ce parcours pourrait prendre en compte les indicateurs et les objectifs utiles pour la carrière de l’enseignant via par exemple un portfolio.
Une collaboration souhaitée par les apprenants et les enseignants
Il est nécessaire de susciter l’envie des étudiants en les impliquant sur du temps dédié, implication qui les légitime. L’implication peut concerner la co-construction d’un cours, la valorisation d’un bilan de formation, la formalisation par les étudiants en cours d’année d’un feed-back sur les méthodes et outils proposés, sur l’évaluation et les résultats associés. Il reste primordial de faire prendre conscience aux étudiants que leur implication et leur motivation participent à la réussite et à la qualité de leur formation.
4. Conclusion
Si la prise de conscience de la place du numérique dans l’évolution des enseignements est partagée par les enseignants et par les étudiants, le chemin pour un usage régulier reste à parcourir. Mais les deux parties connaissent cependant les apports possibles à intégrer, ainsi que les limites de leurs usages.
Flexibilisation, personnalisation, diversification des méthodes et rythme personnalisé des apprentissages, restent des atouts qui doivent continuer à interpeller les équipes pédagogiques dans l’évolution de leurs pratiques.
Bibliographie :
[1] Heutte, J. (2008). Influence de l’habituation à l’usage de l’outil informatique sur l’apprentissage et les résultats scolaires d’élèves du cycles 3 de l’école primaire. Spirale-Revue de recherches en éducation, 41(41), 31-47.
[2] Jamet, É. (2009). Les nouveaux médias, un plus pour la mémorisation? Les cahiers pédagogiques. Dossier Aider à mémoriser, 474.
[3] Lebrun, M. (2007). Théories et méthodes pédagogiques pour enseigner et apprendre : quelle place pour les TIC dans l’éducation? De Boeck Supérieur.
[4] Noyes, J. M., & Garland, K. J. (2008). Computer-vs. paper-based tasks: Are they equivalent? Ergonomics, 51(9), 1352-1375.
[5] Tricot, A. (2016). L’innovation pédagogique. Paris: Retz.