Auteurs :
Nathalie LUSSON, Responsable du Lab’UA, Direction du Développement du Numérique – Université d’Angers, 5 rue le Nôtre 49 000 Angers Cedex
David HUON, Administrateur Système – Référent TICE – ESAIP, 18 Rue du 8 Mai 1945, 49124 Saint-Barthélemy-d’Anjou
Patrick ALBERS, Enseignant-chercheur en informatique – ESEO, 10 Boulevard Jean Jeanneteau, 49100 Angers
Résumé :
Cet article est la restitution d’ateliers participatifs, organisés dans le cadre de la journée scientifique AIPU France (Association Internationale de Pédagogie Universitaire – section France). L’originalité de nos ateliers était de débuter la séance par un jeu de rôle, autour d’un cas d’étude sur la notion de partage de ressources. Nous décrirons ici le déroulement des ateliers, nous exposerons ensuite les propositions qui ont été faites par les participants pour favoriser ce « partage dans la communauté enseignante ». Nous conclurons cet article sur des préconisations et des exemples existants dans la communauté crée au sein du groupe Angers Loire Campus Pédagogie et Formation.
1. Objectif
Dans la cadre de la journée scientifique AIPU France, dont la thématique était “Accompagner la transformation pédagogique à l’ère du numérique”, les ateliers ont primé sur les conférences. Pour organiser ces ateliers participatifs nous nous sommes répartis les 5 thématiques choisies. Notre groupe composé d’un enseignant (Patrick Albers), d’un informaticien, référent TICE (David Huon) et d’une ingénieure pédagogique (Nathalie Lusson) avait la responsabilité d’animer l’atelier N°5 sur le “Partage dans la communauté enseignante”.
2. Problématique
Comment le partage dans la communauté enseignante participe à l’accompagnement et à la formation des enseignants ? Et comment l’institution favorise ces changements ?
3. Méthode
La journée s’organise principalement autour d’ateliers de travail participatif. Le bureau a opté pour des ateliers world-café l’après-midi. Chaque groupe responsable d’une thématique est en charge de produire un atelier le matin qui permettra de faire ressortir les questions pour les world-cafés de l’après-midi.
Quelle forme donner à notre atelier du matin pour permettre à un grand groupe, un travail participatif avec un public hétérogène (doctorant, ingénieur pédagogique, responsable de service, enseignants) qui ne serait pas un world café ?
En choisissant, le sujet du « partage dans la communauté enseignante », nous avons donc imaginé une mise en situation dans le cadre d’une équipe d’enseignants(es). Et quoi de mieux pour initier une dynamique de partage et une prise de parole que de mettre en place un brise-glace !
Déroulement de l’atelier du matin
Les ateliers de la matinée étaient planifiés sur 1h30 ; nous avons organisé cette séance en 3 parties :
- Jeux de rôle (~30 min) : cas d’étude sur la notion de partage de ressources
- Réflexions par équipe de 5 personnes (~30 min) : réflexions sur des éléments de réponse aux questions de l’atelier (à partir de l’étude de cas ou pas)
- Mise en commun (~30 min) : réponse aux questions de l’atelier
Premiers Résultats
Pour certains participants, c’est leur première contribution à un jeu de rôle. Tous se sont vraiment investis dans leurs rôles, les débats sont riches. On peut reconnaître à certains des talents d’acteurs ! Les animateurs dirigent les discussions en apportant les cartes du jeu, mais n’interviennent pas sur les idées échangées ; selon les profils présents dans le groupe, les discussions débordent sur des problématiques parallèles voire quelques fois un peu trop techniques. L’objectif de cette première partie était de libérer la parole sur un sujet proche de la thématique de l’atelier. Nous pouvons dire que l’objectif est atteint. Cependant, l’enchaînement des idées n’est pas si facile à suivre pour les participants qui n’avaient pas forcément les cartes adaptées pour répondre ou relancer le débat.
Les 30 min suivantes ont été consacrées à une discussion sur le partage dans la communauté enseignante en suivant le canevas ci-dessous (5 min par question) :
- Qu’est-ce que le partage ?
- Que partage-t-on ?
- Quel niveau de partage ?
- Comment partager ?
- Avec qui ?
Des questions plus précises ont permis aux animateurs de faire avancer les débats et de faire réagir les groupes sur tous ces points de vue, et d’obliger les participants à sortir de leur rôle du jeu précédent.
Le temps imparti à cette phase a été trop court, les animateurs ont fait respecter le temps de parole aux personnes du groupe, mais chacun aurait aimé en dire plus.
Les animateurs ont remonté une difficulté à laquelle nous nous attendions, celle de faire quitter la problématique du jeu aux participants et se consacrer dorénavant aux questions de l’atelier.
Nous proposons donc comme régulation de consacrer moins de temps pour la partie jeu, 20 min pourrait suffire et d’augmenter le temps d’échanges au sein du groupe.
Afin que l’on passe moins de temps sur la partie jeu, le scénario devra être simplifié et le nombre de cartes “propositions/idées” devra être moins important. La place de l’animateur au cours de la partie est aussi en questionnement. En effet, le groupe c’est très vite approprié la situation, l’animateur de l’atelier n’avait qu’à gérer la distribution des cartes “propositions”, cette tâche pourrait revenir au rôle “Enseignant recruté dans l’établissement.”
Les minutes supplémentaires, de la deuxième partie de l’atelier, pourraient permettre aux personnes du groupe d’avoir un regard réflexif sur le rôle qu’ils ont assumé pendant le jeu, et résumer leurs propositions pour les questions de l’atelier. Il serait peut-être plus facile pour eux de continuer les échanges ensuite en reprenant leur statut.
Pendant la troisième partie de l’atelier du matin (30 min), l’animateur de l’atelier interrogeait chaque groupe qui avait désigné un porte-parole pour la mise en commun des idées. À l’issue de cet atelier, les animateurs ont donc réalisé un poster à présenter sur le temps du déjeuner pour que les personnes inscrites aux world café de l’après-midi prennent connaissance des idées débattues le matin.
Déroulement de l’atelier de l’après-midi
L’après-midi, il était prévu deux séances de world café. Sur chaque séance, les groupes ne tournaient qu’une fois, donc chaque groupe ne pouvait traiter que deux questions.
Nous avons constaté que les échanges étaient aussi riches (voir plus riches !) que ceux du matin. Les nouveaux participants n’ayant pas forcément pris le temps de prendre connaissance du poster déjà réalisé ont mis en avant des propositions relevant des thématiques abordées lors de l’atelier de la matinée.
4. Grandes pistes ressorties
Comment le partage dans la communauté participe à l’accompagnement et la formation ?
Les travaux de Daele & Charlier (2006) expliquent qu’une communauté d’enseignants est bénéfique voire nécessaire dans la co-construction de savoirs professionnels des enseignants, qu’ils soient débutants ou confirmés.
Dans d’autres travaux, B. Charlier propose cette distinction entre les mots Echange et Partage ; le mot échange renvoie à une communication, un envoi réciproque. Tandis que le partage correspond à l’action de diviser une chose en plusieurs parties, mais aussi de « prendre part à ». Le partage supposerait donc un engagement plus important que le simple échange. Une équipe pédagogique peut être considérée comme une communauté de partage. C’est pourquoi les participants aux ateliers ont précisé qu’il y avait besoin de gagner la confiance des collègues, attendre de la bienveillance avant de pouvoir s’engager dans une relation de partage. Si pour Me Bernadette Charlier (ibid) partager c’est l’action de diviser, de décortiquer ensemble un objet, une idée, une pratique pour le bénéfice d’autres, nos participants aux ateliers ont fortement insisté sur les actions de “Formaliser et de Co-évoluer” dans une communauté “structurée“. Il ne s’agit pas simplement de travailler entre collègues par affinité, mais bien de participer à une communauté d’échanges et de partage reconnue au sein de l’établissement.
Pourquoi un enseignant participerait à cette communauté ?
Les ateliers ont aussi mis en avant que la participation des enseignants à une communauté est à rapprocher dans un premier temps d’un besoin d’enrichissement personnel. Le terme de confiance a fait l’unanimité dans les groupes, confiance en soi, confiance en l’autre, confiance dans la mise en œuvre des pratiques. Daele & Charlier (2006) ont aussi mis en avant des conditions à cette participation ou ce partage avec une communauté comme les « Caractéristiques personnelles (temps disponible, vision de soi et de ses collègues, confiance en soi…), …, [le] droit à l’erreur (chaque participant a-t-il le droit de se tromper ou d’avoir un avis divergent ?), » (Daele & Charlier, 2006, p. 100).
Une deuxième raison de participation à la communauté est que cette dernière apporte des réponses aux besoins et aux attentes du moment des enseignants. Les enseignants s’interrogent aussi sur l’objectif de partage. Effectivement, le parti pris du partage c’est d’apporter, de participer mais en tant que nouveau dans la communauté, quel positionnement prendre, pour quel partage et pourquoi ?
Enfin pour les participants le plus important est de donner du sens à leur métier et prendre ou retrouver le plaisir d’enseigner.
Comment l’institution favorise ces changements ?
Depuis les années 2000, les institutions ont mis en place des services supports pour la pédagogie avec le numérique. Ces services ont pour mission d’accompagner les équipes pédagogiques. Ils proposent donc des formations, des ateliers sur des thèmes et des activités spécifiques qui deviennent aussi des moments d’échanges et de partage avec les personnes présentes. Cet accompagnement est plébiscité par les participants des ateliers.
Un autre point a fait l’unanimité parmi les participants, il concerne la demande d’un plus grand engagement de la part des institutions ; un engagement quant aux formations proposées et sur les contrats de droits d’auteur pour la création de ressources. La préoccupation première reste la mise en place d’un cadre et qu’il existe une meilleure lisibilité de celui-ci. Ce cadre exprime les enjeux stratégiques de l’institution quant à l’enseignement, prendre en compte le statut des enseignants et proposer des mesures d’engagement et d’accompagnement dans la pédagogie innovante et des mesures de reconnaissances quant aux nouvelles pratiques pédagogiques mises en place par les enseignants.
Les participants souhaitent des lieux, des moments, des espaces de diffusion de Retour d’EXpériences pour communiquer et valoriser leur travail au sein d’une communauté développée dans l’institution dans un premier temps et pourquoi pas au-delà. Les participants ont aussi remonté un besoin de reconnaissance de la part de l’institution afin d’appuyer leur engagement et les encourager dans cette démarche de transformation pédagogique. Ces dernières années se généralise, dans les établissements “le dossier d’enseignement” ; les analyses réalisées par Wouters, P., Frenay, M. & Parmentier, P. (2011) sur la mise en œuvre et les effets de ce dossier d’enseignement au sein d’une institution montre combien une telle opération est positive pour l’enseignant, non seulement en termes de réflexion sur sa pratique, mais aussi en termes de reconnaissance et de valorisation institutionnelle.
5. Perspectives
L’adhésion des enseignants au changement de pratique, au partage au sein d’une communauté nécessite la mise en place d’un “cadre” traduisant les objectifs politiques, pour l’enseignement et la formation des étudiants. Ce cadre pourra recenser les formations, les temps d’échanges “institutionnels” organisés au niveau de l’établissement ou d’un département (séminaire pédagogique, midi-pédagogique) auxquels les enseignants pourront participer (ou devront participer – formation MCF Arrêté du 8 février 2018).
Certaines universités ou établissements vont plus loin en proposant des appels à projet internes concernant la transformation pédagogique des enseignements. La conception de tels projets par une équipe pédagogique est aussi une activité de partage au sein de l’équipe et pour la communauté, qui doit faire partie de la rédaction du cadre de l’établissement.
La valorisation de la transformation pédagogique doit aussi apparaître dans ce cadre, cette valorisation peut prendre la forme d’heures de décharges ou d’heures complémentaires en fonction des activités pédagogiques innovantes inscrites au référentiel enseignant ou des projets pédagogiques financés par l’institution.
Au terme des ateliers, il apparait fondamental que “donner du sens” importe pour les participants, et déterminera leur investissement à partager. Un premier moyen de prendre connaissance avec l’institution et les collègues, pourrait être une journée d’accueil. Celle-ci sont de plus en plus proposées dans les établissements, elles permettent de connaître “le cadre”, les différents services et sur le temps de la journée de faire connaissance avec les nouveaux collègues. Dans le groupe Angers Loire Campus Pédagogie et Formation, nous proposons aussi une “journée bilan” en cours d’année. Les jeunes enseignants nouvellement arrivés depuis 1 ou 2 ans sont invités à participer à cette journée, qui est organisée en atelier et world café pour permettre au mieux les échanges et les retours d’expérience.
La reconnaissance de l’investissement des enseignants se fait plus souvent au sein de la communauté proche et institutionnelle. C’est en effet lors des séminaires ou des journées pédagogiques auxquelles sont invités les enseignants à exposer des Retours d’EXpérience que leur travail et valorisé. Accompagnés par les personnels des services d’appui à la pédagogique, il est aussi proposé aux enseignants de rédiger ces REX dans les forums d’échanges ou articles sur le site web du service (Lab’UA, ESAIP, ESA). Depuis la création du groupe Angers Loire Campus Pédagogie et Formation, la volonté est née de valoriser ce travail pour faire de son enseignement un objet de recherche sur sa propre pédagogie. La Revue angevine de pédagogie valorise ainsi la réflexivité des enseignant.e.s sur leurs propres pratiques pédagogiques. Pour aller plus loin sur ce travail de réflexivité, ces services d‘appui peuvent accompagner les enseignants à publier et participer à des colloques de pédagogie nationaux et internationaux. Certaines institutions favorisent ce travail par une prise en charge financière pour l’inscription et le déplacement.
6. Remerciements
Nous remercions particulièrement Thomas Desserrey (ingénieur pédagogique Lab’UA), Yannique Petit (enseignant ESAIP), Mickaël Clavreul (enseignant ESEO) pour leur participation en tant que “maîtres de jeux” et la rédaction des posters pour la synthèse des résultats. Nous tenons aussi à remercier Tristan Chevrier (développeur multimédia Lab’UA) qui a réalisé les cartes et le livret du jeu.
Bibliographie
Daele, A. (2006). Animation et modération des communautés virtuelles d’enseignants. In A. Daele & B. Charlier (Eds.), Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants : pratiques et recherches (pp. 227–248). Paris: L’Harmattan. (PDF – 84Ko)
Daele, A. (2009). Les communautés de pratique. In J.-M. Barbier, É. Bourgeois, G. Chapelle, & J.-C. Ruano-Borbalan (Eds.), Encyclopédie de la formation (pp. 721–730). Paris: PUF. (PDF – 162Ko)
Daele Amaury, Charlier Bernadette (2006). Comprendre les communautés virtuelles d’enseignants », Recherche et formation [En ligne], 55 | 2007, mis en ligne le 07 octobre 2011, consulté le 23 novembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/946
Frenay, M., Saroyan, A., Clement, M., Taylor, L. K., Bédard, D., Kolmos, A., Paul, J.-J., & Rege Colet, N. (2010). Accompagner le développement pédagogique des enseignants universitaires à l’aide d’un cadre conceptuel original. Revue Française de Pédagogie, 172, 63-76.
Wouters, P., Frenay, M. & Parmentier, P. (2011). Valoriser l’engagement pédagogique des enseignants-chercheurs, Recherche et Formation, 67, 73-90.
JORF n°0054 du 6 mars 2018, Texte n° 23 – Arrêté du 8 février 2018 fixant le cadre national de la formation visant à l’approfondissement des compétences pédagogiques des maîtres de conférences stagiaires, NOR: ESRH1732884A : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2018/2/8/ESRH1732884A/jo/texte