Objectif de cet écrit
Cet écrit vise à questionner l’évaluation numérique sous ses différents aspects et finalités, en s’appuyant sur plusieurs retours d’expérience d’enseignants-chercheurs et formateurs de l’université d’Angers ayant expérimenté l’évaluation numérique avec leurs étudiants.
Cet écrit souhaite apporter des pistes de réflexions autour de l’évaluation numérique, ses avantages, ses inconvénients, et plus largement les problématiques qu’elle soulève chez les enseignants à l’Université.
Une dizaine d’enseignants ont ainsi été interrogés par les équipes du Lab’UA au cours d’entretiens dont la méthodologie qualitative a tenté de s’approcher de celles des sciences sociales. Après la conception d’une grille d’entretien commune, plusieurs ingénieurs pédagogiques ont ainsi rencontré et discuté avec des enseignants-chercheurs de l’UFR Sciences et des formatrices de l’IFSI d’Angers (Institut de Formation en Sciences Infirmières). Leurs paroles ont par la suite été anonymisées.
Nous souhaitons ainsi rendre compte des pluralités de pratiques de l’évaluation numérique à l’université afin de tenter de répondre à cette large problématique : « L’évaluation numérique : amélioration ou dégradation ? »
Ces quatre termes (évaluation, numérique, amélioration, dégradation) ont été définis et mis en perspective avec une sélection d’articles de recherche en sciences de l’éducation notamment, dans le début de ce dossier. L’évaluation consiste ainsi en une prise d’informations sur des performances ou des comportements qui sont ensuite rapportées à des objectifs à atteindre ou à des normes. La problématique est donc de savoir si l’évaluation en ligne améliore ou dégrade cette prise d’informations. Ces améliorations ou dégradations seront mises en lien avec différents critères décrits dans les travaux de Gilles et Charlier (2020)1. Ces auteurs présentent neuf critères qui permettent d’évaluer la pertinence d’un type d’évaluation : validité, fidélité, sensibilité, diagnosticité, équité, praticabilité, transparence et authenticité.
À l’aide de ces critères, nous souhaitons questionner notre problématique en s’appuyant sur des retours d’expériences d’enseignants. Au vu du petit nombre de personnes interrogées pour constituer ce dossier, l’évaluation numérique n’y a été expérimentée que de deux manières : pour un certain nombre d’enseignants, il s’agissait d’évaluations numériques de type Test Moodle avec des questions de type QCM (Questions à Choix Multiples) à correction automatique et également des questions ouvertes ou rédactionnelles sur Moodle avec correction manuelle, le tout réalisé par les étudiants sur un temps donné, en amphithéâtre, avec des tablettes fournies par l’université.
Le second type d’évaluation numérique décrit ici est une évaluation de type Test Moodle avec questions QCM à correction automatique uniquement, réalisé sur un temps donné mais au domicile des étudiants (ou du moins pas dans une salle dédiée à l’université), avec leur propre matériel (ordinateur, tablette…). Bien que correspondant toutes deux à des évaluations numériques, nos lecteurs se douteront que l’une et l’autre ne proposeront pas les mêmes avantages et les mêmes problématiques notamment autour des questions de la fraude et de la correction, (cf. Partie 4 et 5).
Afin de tenter de répondre à notre problématique “L’évaluation numérique est-elle une amélioration de l’évaluation classique ?” nous précisons ici que nous ne recensons que l’avis des enseignants et bien qu’il aurait été très pertinent de s’intéresser également aux avis et ressentis des étudiants vis-à-vis de cette modalité, il ne s’agit pas de notre objectif ici.
Le Covid et les bouleversements dans l’évaluation numérique : mauvais souvenirs et naissance de nouvelles pratiques
C’est en mars 2020 que la France a connu son premier confinement à la suite de la crise sanitaire du Covid 19, bouleversant la vie de chacun et notamment celles des enseignants et des étudiants, qui n’ont plus eu accès aux locaux de l’Université. La quasi-totalité des évaluations de ce second semestre de l’année 2019-2020 a ainsi été contrainte à la distance et donc au numérique, modalité nouvelle dans la grande majorité des cas, autant pour les étudiants que pour les enseignants.
L’année 2020 a, pour beaucoup d’enseignants parmi ceux interrogés, marqué le début d’une nouvelle manière d’évaluer leurs étudiants. Bien que tous y aient été contraints, deux réactions types ont été décrites. Une première qui a considéré cette nouvelle modalité comme certes perfectible, mais ayant des avantages certains, et donc à pérenniser à l’avenir et ce même sans contraintes sanitaires. Pour certains enseignants, cette expérience durant la crise Covid a en effet ouvert la voie à d’autres manières d’évaluer, tout en gardant, d’après eux, une qualité d’évaluation basée sur la répartition des notes des étudiants qui restaient semblables à celles d’avant la crise :
« Les évaluations numériques on les a commencées avec le Covid, comme beaucoup, donc contraints et forcés... On a maintenu ça après la sortie du Covid. On s’est rendu compte que les évaluations qu’on faisait devaient être assez adaptées en termes de note je parle, on a une belle répartition des notes, on n’a pas surnoté ou sous-noté par rapport à ce qu’on faisait avant en présentiel donc ça c’était des signes pour nous dire bon finalement, notre façon de faire ou en tout cas notre type d’évaluation n’a pas l’air ni trop favorable ni trop défavorable pour les étudiants. »
Au contraire, d’autres enseignants ont exprimé leur expérience des évaluations numériques durant la crise Covid comme n’étant pas de la même qualité que les évaluations précédentes traditionnellement sur papier, ce qui les a conduits, entre autres raisons, à abandonner la modalité numérique :
« Après le Covid on est revenu à une évaluation papier parce que je pense qu’on n’était pas assez formés aux contraintes de l’évaluation numérique et on avait de trop bons résultats, ce qui n’était pas normal : la proportion d’étudiants qui réussissaient n’était pas en adéquation avec les proportions des années précédentes. »
Autre effet de la crise Covid, l’enseignement numérique et l’enseignement à distance s’est développé très rapidement et est devenu un mode d’enseignement à part entière et plus seulement une « solution de secours », ce qui oblige parfois des enseignants à opter pour une modalité d’évaluation numérique :
« [Pourquoi avez-vous choisi de réaliser l’évaluation sous format numérique ?] : - C’était un souhait de la direction, […] on nous demande aujourd’hui de passer pratiquement 30% de nos enseignements en distanciel ou en numérique. »
L’expérience collective des confinements et donc des fermetures des lieux d’enseignements a fortement marqué les choix individuels des enseignants concernant l’évaluation numérique.
Certains ont ainsi fait le choix d’oublier l’évaluation numérique et de revenir à l’évaluation plus traditionnelle sur papier, d’autres ont capitalisé sur les bouleversements apportés par le Covid pour garder l’évaluation numérique comme modalité pérenne pour leurs étudiants, ce qui a parfois alimenté des débats avec leurs collègues, démontrant l’importance du choix de la modalité pour les enseignants.
1. Une thématique au cœur de débats
En effet, depuis que l’évaluation numérique est devenue, pour certains enseignants et contrairement à il y a 4 ans, une modalité d’évaluation possible, le choix ou non d’opter pour celle-ci peut être l’objet de certains débats entre enseignants.
C’est le cas pour certains d’entre eux que nous avons pu interroger, qui ont rapporté des critiques de la part de leurs collègues vis-à-vis de leur choix d’opter pour l’évaluation numérique :
« C’est vrai que nous, on est un peu critiqués par certains collègues quand on fait du distanciel. Ça n’a pas très bonne presse... Il y a des gens qui nous disent qu’en gros c’est pour gagner du temps qu’on fait ça, et c’est vrai, mais on essaie quand même de faire quelque chose qui soit pertinent. »
« Pour certains on brade un petit peu le métier d’enseignant, enfin pour l’évaluation, il y a des gens qui n’ont pas du tout confiance dans le distanciel [NDLR : l’enseignant propose des évaluations numériques en ligne et à distance], et ils pensent que de faire des questionnaires ça peut être beaucoup trop simple pour les étudiants ou beaucoup trop compliqué, en fonction de comment on fait la notation etc. En fait ils considèrent que ça ne reflète pas le niveau de l’étudiant. »
« Ils [les autres enseignants] considèrent que quand l’étudiant écrit, c’est un meilleur moyen d’évaluer. »
Ces critiques seraient, selon certains enseignants, présentes au point parfois d’empêcher le développement de l’évaluation numérique :
« Je pense qu’il y a des collègues qui se censurent en fait, qui aimeraient bien aller vers ça [l’évaluation numérique] mais ils n’ont pas envie forcément de passer pour... il y a le côté mauvais enseignant. »
En effet, pour certains enseignants, l’évaluation numérique représenterait davantage une « évaluation au rabais » plutôt qu’une modalité différente d’évaluation d’une qualité égale à celle d’une évaluation papier. Nous avons eu l’occasion lors de notre enquête de rencontrer des enseignants exprimant cet avis autour de la modalité d’évaluation QCM et l’évaluation numérique en ligne et à distance notamment :
« J’avoue que déjà le QCM comme évaluation finale je n’aime pas. Quelque part il y a un truc où je me dis que je fais pas mon boulot [d’enseignant]. »
« Il faut que ce [l’évaluation] soit fait sur place, ici quoi, là dans une salle d’examen, parce que sinon c’est une blague hein si c’est chez soi. »
Les enseignants réalisant des évaluations numériques peuvent aussi faire face à des réticences de la part de leur administration. Là où certains sont sommés de réaliser des évaluations à distance pour rester dans les directives de cadrages autour de l’enseignement numérique, d’autres doivent convaincre leur UFR pour qu’ils puissent réaliser leur évaluation sous modalité numérique :
« Il faut aussi parfois un peu convaincre l’UFR de le faire en distanciel, demander l’autorisation, etc. Et on voit bien que c’est pas le truc habituel "bon exceptionnellement on veut bien mais..." »
« On aimerait bien évaluer sur Moodle mais l’administration n’apprécie pas trop ça. »
Ces réticences et ces critiques envers l’évaluation numérique trouvent leurs arguments autour de plusieurs points que nous allons étudier par la suite, en commençant par la question de la pertinence pédagogique d’une évaluation numérique.
2. Une évaluation pédagogiquement plus pertinente ?
Cette partie va essentiellement concerner le critère de « validité » vu dans la partie 2 “Etat de l’art” (Gilles et Charlier, 2020). Le critère de validité fait référence au respect de l’alignement pédagogique du cours et donc de la validation (ou non) des objectifs d’apprentissages grâce à l’évaluation. Ainsi nous nous posons les questions suivantes : Passer d’une évaluation papier à une évaluation numérique implique-t-il d’augmenter sa difficulté pour les étudiants ? Ou au contraire l’évaluation en ligne serait-elle plus simple pour les étudiants ? Les objectifs pédagogiques de l’évaluation sont-ils toujours conservés ? Ce changement de modalité mérite que l’on s’attarde à se poser les bonnes questions pour garantir la même qualité pédagogique.
2.1. Une modalité qui ne s’adapte pas à tous les enseignements
L’ensemble des enseignants proposant des évaluations numériques a reconnu ne pas les mettre en place systématiquement. En effet, tous ont expliqué avoir opté pour le numérique parce que leur enseignement s’y prêtait. Les enseignants interrogés ont expliqué qu’ils trouvaient la modalité numérique pertinente pour leurs enseignements de types descriptifs, de connaissances à acquérir, de vocabulaires ou de notions à apprendre « par cœur » davantage qu’à appliquer. Un des enseignants nous explique l’une des raisons du maintien des évaluations numériques pour certains enseignements de licence 1 et licence 2 :
« On s’est permis aussi de maintenir [l’évaluation numérique] parce que ce qu’on fait en première année c’est quand même des cours un peu descriptifs. C’est juste à apprendre et à connaitre, il n’y a pas de complexité, de raisonnement, et du coup je trouve que ça peut bien se prêter à l’évaluation à distance. […] À partir de la L3 on fait plus d’évaluation à distance parce qu’on a des plus petits effectifs et on veut prendre en compte leur façon de rédiger. »
D’après certains enseignants interrogés, l’une des principales critiques de l’évaluation numérique de la part de certains de leurs collègues réside dans le fait que ce type d’évaluation (type QCM à correction automatique) n’apprend pas aux étudiants à rédiger, à réfléchir, à mettre en mots des processus, etc. Ces enseignants répondent alors qu’ils valident tout à fait ces arguments mais qu’ils ne les trouvent pas pertinents au regard des objectifs pédagogiques de l’enseignement, objectifs qui tendent plus vers un apprentissage de connaissances qu’une réflexion ou une application de celles-ci.
2.2. Différentes manières de construire une évaluation numérique
D’après les témoignages recueillis, nous avons identifié deux idéaux-types concernant la construction d’une évaluation numérique : le premier consiste à « dupliquer » l’évaluation papier sous format numérique, en gardant les mêmes questions et la même forme. Le second, à l’opposé, est de reconstruire de toute pièce une évaluation en repensant chaque question ou chaque exercice au regard de l’outil numérique et des contraintes qui y sont associées. Les évaluations numériques des enseignants se situent entre ces deux points opposés, bien souvent se rapprochant de l’un ou de l’autre pôle.
Par exemple, un enseignant parmi ceux interrogés, réalisant des évaluations numériques à correction automatique à distance (les étudiants sont chez eux), nous a expliqué la manière dont ces évaluations avaient été pensées et construites à partir de la contrainte du numérique et de la distance :
« On s’est beaucoup plus creusé la tête quand on passe en numérique pour avoir un nombre de jeux de questions beaucoup plus important et j’ai eu l’impression qu’on utilisait plus toute la matière du cours. En fait c’est qu’avant, quand on le faisait par écrit, on posait des grandes questions sans être forcément dans la précision des mécanismes globaux. Là il faut proposer des choses qui sont vraies, des choses qui sont fausses donc il faut vraiment se creuser la tête et se mettre à la place de l’étudiant et ce qu’il va comprendre. »
« J’ai eu l’impression d’utiliser plus la totalité de mon cours, d’aller chercher plus dans tous les coins parce qu’il y a la nécessité de produire un grand nombre de questions. »
Comme cet enseignant nous l’explique, construire une évaluation sous format QCM avec des questions aléatoires nécessite la création d’un plus grand nombre de questions car tous les étudiants ne répondent pas aux mêmes questions : elles sont piochées au hasard parmi une banque de questions. D’après cet enseignant, cela permet d’interroger les étudiants sur une plus grande partie du cours et de pouvoir exploiter chaque séance, et ce bien plus que lors d’une évaluation classique.
À l’opposé, d’autres enseignants nous ont rapporté leur sentiment d’avoir construit une évaluation qui était peut-être plus simple pour les étudiants, à cause du format des questions notamment. Ils attribuent cela à leurs compétences encore en construction pour la création de QCM (cf. Partie 2.3 sur ce point). Ces enseignants avaient réalisé des évaluations mêlant cette fois questions de types QCM et questions ouvertes (sous format numérique mais à correction non automatisée) :
« On va s’autoriser [lors des prochaines évaluations numériques] à mettre moins de questions déductives, plus de questions ouvertes, quitte à corriger plus manuellement. Il faut qu’on aille vérifier plus les connaissances des étudiants et pas induire. »
« Les résultats sont nettement meilleurs que l’année dernière. […] Parce que je pense qu’il n’y avait pas assez de rédactionnel et qu’on a induit pas mal de [réponses] avec les QCM, on fait pas mal de menus déroulants aussi, peut-être dans nos schémas... »
« C’est ça aussi qu’on fera peut-être plus l’année prochaine, mettre plus de points négatifs sur les mauvaises réponses. On voulait pas cette année car voilà c’est une première fois aussi, mais je pense qu’on peut être un petit peu plus strict sur les réponses qu’on attend et mettre un peu plus de points négatifs. »
Ces trois verbatims sont liés au critère de « sensibilité » présenté dans les travaux de Gilles et Charlier (2020). Le critère de sensibilité permet de rendre compte du niveau précis de l’étudiant. Certains enseignants ont exprimé le fait que leurs évaluations en ligne ne répondaient pas à ce critère de sensibilité.
2.3. Des compétences nécessaires à la construction d’une évaluation numérique
La construction d’une évaluation numérique demande des temps d’apprentissages et de réajustements. En effet, construire une évaluation papier et construire une évaluation au format numérique demande aux enseignants des compétences différentes, que certains expliquent ne pas avoir nécessairement eu le temps d’acquérir, notamment des compétences autour de la maîtrise de l’outil informatique :
« [C’était] stressant pour nous car on n’a pas les mêmes axes d’actions si ça se plante en numérique donc la première fois il y avait beaucoup de "si ça ne marche pas comment on fait ?" »
Notre hypothèse est la suivante : le ressenti de la détérioration de l’évaluation dû à son passage à une version numérique pourrait être lié à un manque de connaissances de l’enseignant créateur. En effet, les enseignants ne sont pas toujours aussi formés qu’ils le souhaiteraient. Ils proposent alors des évaluations parfois plus simples que leur version papier, cela dû en grande partie à un manque de formation que l’on peut aisément lier à un manque de temps.
3. La thématique du temps, entre contraintes et avantages
Le temps est une thématique centrale qui est régulièrement revenue lors de nos échanges avec les enseignants, aussi bien autour :
- du temps de formation pour l’acquisition de compétences autour du numérique,
- du temps de création de l’évaluation
- ou encore du temps de correction.
Reprenons ces trois besoins pour mieux les comprendre (Le premier besoin (le temps de l’acquisition de compétence) a été traité dans la partie précédente (2.3), nous ne l’aborderons donc pas une nouvelle fois et nous concentrerons sur le temps de construction et celui de la correction.).
3.1. Le temps de construction
Comme évoqué dans la partie précédente, construire une évaluation numérique demande du temps : du temps effectif de création et du temps en amont afin de maîtriser les compétences pédagogiques et les outils numériques nécessaires. Ce défaut de temps peut dans certains cas, comme nous avons pu le voir précédemment, compromettre en partie la qualité de l’évaluation numérique.
Même lorsque les enseignants maîtrisent l’outil numérique, ils disent devoir consacrer beaucoup de temps à la construction de l’évaluation numérique :
« Ça a pris plus de temps [rires] c’est plus de temps parce qu’il faut réfléchir à poser la question dans le bon sens et à choisir la modalité de la question, est-ce que c’est mieux de la traiter en QCM, en menu déroulant, est-ce que c’est mieux sur un vrai faux, de la garder en rédactionnelle ? »
« Pour le numérique il faut plus réfléchir à ce qu’on veut donner comme sens à notre question et ce qu’on veut comme réponse de l’étudiant. Donc ça a pris plus de temps dans la construction. »
« Dans un premier temps ça nous a demandé plus de temps. Plus de temps de préparation, plus de temps de paramétrage, on a beaucoup réfléchi autour des formulations, quels styles de questions, et plus de temps de mise en route. »
La médiatisation prend du temps, ce n’est pas juste une transposition au format numérique mais comme nous l’avons vu précédemment elle s’accompagne d’une reconception globale prenant en compte les objectifs pédagogiques.
3.2. Le temps de correction
Cet investissement temporel est néanmoins, d’après les enseignants interrogés, « rentabilisé » grâce au temps de correction qui peut être extrêmement raccourci. Cependant, cela dépendra de la modalité choisie : pour certains enseignants qui sont passés d’une évaluation papier à une évaluation numérique mélangeant questions de type QCM à correction automatique et questions rédactionnelles à correction manuelle, le gain de temps est relatif : la première partie de l’évaluation sera corrigée instantanément par l’outil numérique mais la seconde nécessitera un temps de correction de la part des enseignants depuis leur ordinateur :
« Il y a beaucoup de temps de construction avant, mais on en gagne un peu sur le temps de correction parce que finalement on ne s’occupe que des questions rédactionnelles. »
En effet, une correction automatique offre plusieurs avantages, selon les enseignants interrogés.
Certains enseignants ont pointé le complet anonymat des étudiants. Bien sûr, les copies sont anonymes lors d’évaluations traditionnelles sur papier cependant certains enseignants ont expliqué que, même avec une copie anonyme, la correction peut être orientée par la qualité de l’écriture par exemple, ou par les réponses apportées à des questions précédentes :
« Parce que notre problématique c’est qu’on n’a plus du tout le temps... enfin corriger 300 copies en fait moi ça me prend 15 jours de mon temps, et là c’est absolument plus possible, c’est juste plus possible. Donc factuellement on ne peut plus le faire. Ou alors on ne fait plus de recherche à côté. »
Plusieurs enseignants-chercheurs nous ont en effet rapporté qu’ils manquaient de temps afin de corriger les copies, notamment celles des grandes cohortes. Ils expliquent que l’évaluation numérique a été au départ un moyen d’optimiser la dimension temporelle mais qu’aujourd’hui, après quelques années de pratique de cette modalité, ils ne pourraient de toute façon plus revenir au format papier pour ces évaluations à cause de la charge temporelle qu’impose la correction des copies.
Un des principaux avantages de l’évaluation numérique, selon les enseignants interrogés, est donc le gain de temps au moment de la correction, qu’elle soit tout automatisée ou non. Autre que cette économie, certains enseignants ont également pointé d’autres avantages à cette correction réalisée par un ordinateur.
4. Une correction avantageuse ?
En effet, une correction automatique offre plusieurs avantages, selon les enseignants interrogés.
Certains enseignants ont pointé le complet anonymat des étudiants. Bien sûr, les copies sont anonymes lors d’évaluations traditionnelles sur papier cependant certains enseignants ont expliqué que, même avec une copie anonyme, la correction peut être orientée par la qualité de l’écriture par exemple, ou par les réponses apportées à des questions précédentes :
« La machine applique exactement le même barème à tout le monde, traite les erreurs de la même manière. […] On est humain hein, quand il y a une monstruosité [sur la copie] on a tendance à se dire que ça, c’est tellement énorme qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte dans la note globale... bon alors est-ce qu’on doit le faire, ça non, mais on ne le fait pas forcément consciemment. Alors que la machine a l’intérêt d’être complètement neutre. […] La neutralité absolue de correction quand même on doit ça à l’étudiant. »
Certains enseignants ont également souligné l’avantage de la correction par ordinateur car elle offre une précision inégalable dans l’exactitude de la correction : l’ordinateur ne fait pas d’erreurs :
« [Pour] les gros effectifs de 300-370 étudiants, […] si on corrige à la main, ça prend deux semaines, presque un plein temps, et vous comprenez très bien que si on fait ça on n’est pas à l’abri de l’erreur humaine… »
On peut ici faire le lien avec les critères d’ « équité » et de « fidélité » présentés dans les travaux de Gilles et Charlier (2020). Le critère d’équité fait référence au fait de traiter justement et de la même manière l’ensemble des étudiants lors de la correction de l’évaluation. Le critère de fidélité est en lien avec la subjectivité de la part de l’évaluateur dans la correction de l’évaluation. D’après les enseignants interrogés, la correction automatique permet d’assurer l’équité et la fidélité de l’évaluation.
Autre que ces critères, la correction par ordinateur et donc dématérialisée offre l’avantage logistique de ne plus avoir des centaines de copies à manipuler et transporter :
« Dans l’ensemble moi j’ai vraiment beaucoup apprécié de faire la correction via le PC. Une fois qu’on a pris en main le logiciel je l’ai trouvé très intéressant à corriger, on fait ça de chez soi on n’a pas toutes les copies à transporter, c’est finalement assez rapide. »
« Donc moi non je n’ai rien imprimé, j’ai tout fait sur l’ordi et c’est bien. Et puis en plus on peut faire ça de chez soi, il n’y a pas de soucis, et puis on n’a pas peur de perdre les copies, ça c’est bien aussi. »
Dernier avantage cité : l’accès à des statistiques. Moodle propose un certain nombre de statistiques produites automatiquement, notamment autour des résultats des étudiants en fonction des questions :
« Moi j’adore avoir tout de suite les statistiques, avoir le graphique, on classe par note du plus petit au plus grand, on voit tout de suite les revalidant [NDLR : étudiants n’ayant pas obtenu la note minimale à l’évaluation pour valider l’enseignement]. Et puis ce que j’adore aussi, c’est pouvoir faire une évaluation très rapide des questions, voir celles qui ont marché qui n’ont pas marché, moi j’ai fait un bilan de chaque UE et de chaque évaluation, je me suis appuyé vraiment des bases de statistiques de Moodle et pour moi c’est génial parce que ça a évité de tout faire à la main, enfin moi je trouve un intérêt super rapidement de voir ça. »
La correction d’une évaluation numérique offre donc, d’après les témoignages recueillis, de nombreux bénéfices pour les enseignants : qu’ils soient temporels, logistiques et dans le traitement statistique des données de la cohorte.
Les statistiques Moodle permettent de comparer les résultats obtenus (notamment la moyenne et l’écart-type) aux résultats obtenus les années précédant la mise en place d’une évaluation numérique. Cette comparaison, lorsqu’elle met en évidence des résultats semblables, est l’un des arguments avancés par les enseignants ayant opté pour l’évaluation numérique afin, d’une part, de valider pédagogiquement l’évaluation au niveau de sa difficulté (comme vu dans une partie précédente) et, d’autre part, de montrer à d’éventuels détracteurs que la fraude n’est pas nécessairement plus présente dans une évaluation numérique que dans une évaluation classique.
5. Un risque de fraude accru ?
5.1. L’une des principales critiques envers l’évaluation numérique
En effet, l’un des arguments principaux lié aux réticences vis-à-vis de l’évaluation numérique serait qu’elle permet la fraude ou encore qu’elle l’encourage. Mais avant de s’intéresser davantage à cette question, il est important de préciser de quel type d’évaluation numérique nous parlons ici. Comme expliqué précédemment, certains enseignants ont eu la possibilité de mettre en place des évaluations numériques sur Moodle, mais qui se déroulent à l’université, en amphi, sur des tablettes prêtées par l’université. Ces tablettes sont paramétrées pour les évaluations et ne permettent pas, par exemple, l’accès à un moteur de recherche. Elles sont « bloquées » afin que les étudiants n’aient théoriquement accès qu’à leur évaluation. Ce type d’évaluation se déroulant en amphi, les étudiants y sont surveillés par plusieurs de leurs enseignants.
Les réticences vis-à-vis d’un risque de fraude accru avec des évaluations numériques ne concernent donc pas ce type d’évaluations mais un autre : celles réalisées en ligne, le plus souvent au domicile de l’étudiant, avec son propre matériel, et donc sans surveillance. Certains enseignants considèrent avec sévérité ce type d’évaluation comme une « blague ». D’autres expliquent que c’est pour cette raison qu’ils n’ont pas continué les évaluations numériques, notamment après la période de confinement :
« Oui de la tricherie, où la modalité faisait qu’ils avaient plus de chance de réussir alors effectivement, est-ce qu’ils avaient leur cours auprès d’eux, est-ce qu’il y avait pas assez de questions, est-ce qu’ils avaient accès à des ressources autres... on s’est même demandé si certains n’avaient pas été plusieurs dans la même pièce avec chacun leur ordinateur ce qui fait qu’ils peuvent communiquer, certains révisant certaines parties, enfin voilà, on peut tout imaginer. Du coup on a laissé tomber l’évaluation numérique ».
Dans une autre partie, nous évoquerons la fraude en détaillant “la triche et l’évaluation en ligne” ainsi que “l’évaluation en ligne, une opportunité pour l’université ?”.
5.2. Contre-arguments et stratégies adoptées face à la fraude à distance
D’autres enseignants ont quant à eux gardé cette modalité d’évaluation en soutenant son bienfondé et sa pertinence pédagogique, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, certains enseignants soulignent que la fraude chez les étudiants, qu’elle soit avec des évaluations numériques ou des évaluations classiques, existe depuis toujours et existera toujours, et que peu importe les conditions, certains étudiants trouveront toujours le moyen de tricher :
« On n’est pas à l’abri qu’il y ait quelques petits futés qui foutent pas grand chose et qui s’en sortent mais mon sentiment c’est que c’est comme dans le présentiel où il y en a un qui va regarder chez le voisin et qui va s’en sortir parce que ça la triche en présentiel, ça c’est pas mal aussi. »
Bien que fondé, cet argument ne remet pas en cause la validité de l’évaluation en ligne à distance. Même si l’on peut nuancer puisque le fait que les étudiants soient chez eux, sans surveillance et avec un plein accès à leurs supports de cours est probablement une plus grande source de tentation de tricherie. On peut en effet penser que le fait que les étudiants soient chez eux et qu’ils aient accès à leurs cours offrirait une tentation de tricher plus grande que sous surveillance en salle.
Afin de prévenir le risque de fraude, certains enseignants ont ainsi exprimé deux stratégies qui leur semblent efficaces :
- Certains construisent leur évaluation en prenant en compte cette contrainte. Ils proposent ainsi des questions dont les réponses ne peuvent pas être trouvées telles quelles dans leurs cours ou bien en quelques clics sur internet. Ils formulent les exercices et questions autour d’exemples, d’études de cas, d’éléments uniques et inédits pour les étudiants.
- D’autres paramètrent leur évaluation sur un temps limité afin que l’étudiant « n’ait pas le temps » d’aller rechercher les réponses dans son cours ou sur internet. Un enseignant nous explique :
« En fait on leur pose beaucoup de questions pour pas qu’ils aient le temps d’aller chercher [les réponses]. Alors des fois on en voit ils [NDLR certains étudiants] se sont arrêtés à la 30e question et il y en a 50, les dernières elles sont pas faites. Donc on sait en fait qu’ils ont pas bossé leur cours et qu’ils sont sur notre PowerPoint où ils sont sur Wikipédia et ils passent du temps, ils passent du temps... Et en fait on paramètre pour qu’il y ait en gros une minute-une minute 30 par question pas plus quoi, et comme c’est du QCM en principe ça suffit. Pour l’étudiant qui a bossé tout va bien. »
Ces deux stratégies semblent ainsi permettre à des enseignants de prévenir la fraude lors d’évaluations numériques, et cela, comme nous l’avons vu, est observé grâce aux résultats obtenus à ces évaluations :
« Après quand on voit les notes, on se dit quand même, y’en a pas tant [d’étudiants] que ça qui doivent se faire aider parce que c’est pas "mauvais" mais bon, la dernière [évaluation] on a eu 10 et demi de moyenne et c’est ce qu’on avait en écrit classique, donc voilà on n’est pas à 14 [de moyenne]… »
Malgré la mise en place de ces stratégies, les enseignants proposant des évaluations numériques restent conscients que le risque de fraude lors d’évaluations numériques en ligne et à distance est présent. Cela constitue, pour certains d’entre eux, le dernier point à améliorer pour que ces évaluations puissent devenir courantes et donc mieux vues et mieux acceptées de la part de leurs collègues et de leur administration :
« Je sais pas y’en a [des étudiants] qui doivent se débrouiller pour travailler en groupe... qui ont des copains ou des copines qui sont déjà passés par là avant et ils le font à plusieurs, c’est vraiment moi la seule critique que je vois à ça [à l’évaluation numérique à distance]. […] C’est pas le problème de le faire en numérique, c’est de le faire chez soi ou de le faire avec d’autres oui c’est ce côté plutôt « possibilité de tricher » […] C’est pour ça que la vraie bonne solution ce serait de le faire en présentiel sur tablette. »
En effet, l’un des moyens qui apparaîtrait comme le plus efficace pour tenter d’endiguer la fraude lors d’évaluations numériques serait de les réaliser, comme certains enseignants le font déjà, non pas à distance où les étudiants sont chez eux mais bien sur place, en amphithéâtre sur tablettes ou encore en salle informatique. Cela pose cependant d’autres problématiques autours des moyens de l’université, en termes de matériel, de salles ou encore de personnels.
6. Des questions de moyens humains, matériels et de locaux
Plusieurs enseignants ont rapporté avec insistance leur souhait de disposer de locaux et de matériel digital afin de pouvoir réaliser les évaluations numériques sur place à l’université, ce qui pourrait diminuer les risques de fraude et les réticences vis-à-vis de cette modalité d’examen. Bien que ce dispositif existe déjà depuis plusieurs années en faculté de santé, notamment pour les examens de médecine, cette problématique semble être vécue bien différemment selon les UFR. En effet à ce jour à l’université d’Angers, seules quelques facultés comme celle de médecine ou de lettres disposent de tablettes numériques afin de réaliser les évaluations.
Alors que certains enseignants expriment leur souhait d’avoir davantage de moyens afin de réaliser des évaluations numériques en présentiel, d’autres expliquent que c’est le manque de moyens (locaux et humains) qui les poussent aujourd’hui à proposer ou maintenir leurs évaluations au format numérique. On retrouve ainsi la même ambivalence que pour la question du temps : manque de temps pour développer les évaluations numériques, création des évaluations numérique pour combler un manque de temps. Cela fait écho au critère de « praticabilité » présenté dans les travaux de Gilles et Charlier (2020). Le critère de praticabilité permet de vérifier que l’évaluation est faisable avec les moyens techniques, humains et matériels disponibles. L’évaluation en ligne permet, dans certains cas, d’améliorer ce critère de praticabilité. Certains enseignants cependant déplorent un manque de praticabilité lorsqu’ils souhaitent réaliser des évaluations en lignes en présence mais ne le font pas par manque de moyens.
Ces enseignants expliquent ainsi qu’il serait aujourd’hui très difficile de trouver des salles suffisamment grandes afin d’accueillir une cohorte entière pour réaliser une évaluation classique sur table. Si ces étudiants étaient répartis dans différentes salles, il faudrait alors trouver plusieurs personnes pour surveiller ces salles, ce qui est, pour certains enseignants, difficilement imaginable :
« Quand vous avez tant d’étudiants qu’on répartit dans huit ou dix salles informatiques, moi j’ai pas dix personnes dans mon équipe pédagogique... Puis sur les dix personnes de l’équipe pédagogique tout le monde intervient pas en L1 donc ils viendront pas surveiller, donc comment on fait ? Et avant [le Covid] quand ils étaient sur papier ils étaient en amphi, ou alors on a une grande salle d’examen qui fait 160 places et deux amphis et déjà on grattait les fonds de tiroirs pour trouver les surveillants... Parce que dans la salle d’examen il faut trois surveillants, dans les amphis il en faut deux, donc ça fait sept surveillants à trouver. »
D’après les enseignants interrogés, les évaluations numériques en ligne et à distance semblent donc offrir un certain aspect « pratique », comme de pallier des manques de personnels pour surveiller les examens, ou les manques d’amphithéâtres où les grosses promotions de première année notamment sont de plus en plus difficiles à accueillir.
7. La perdition de la symbolique de l’évaluation ?
Autres que les aspects purement pédagogiques autour de la pertinence de l’évaluation numérique et les risques de fraude qu’induirait cette modalité, certains enseignants nous ont fait part de leurs réticences vis-à-vis de l’évaluation numérique en ligne et à distance. Ils avancent des arguments autour de la perte de certains éléments constituant, à leur sens, une symbolique importante à l’université.
En effet, certains ont souligné qu’organiser une évaluation en présence était un moment important à conserver dans l’objectif d’un accompagnement complet de l’étudiant :
« C’est quand même bien de les avoir en face les étudiants, quand ils font l’exercice d’évaluation tu les laisses pas tomber en fait, t’es avec eux. S’ils ont une question t’es là, il y a un côté "proximité" que du coup on a quand même un peu perdu [lors des évaluations numériques en ligne et à distance] qui est un peu dommage. Moi j’aimais quand même bien faire les évaluations avec eux parce que tu leur dis "je vous accompagne jusqu’au bout, j’ai fait mon cours, maintenant voilà je vous fais évaluation, je suis en face de vous." […] Tu vas jusqu’au bout du processus. Alors que là tu vois [lors des évaluations numériques en ligne et à distance] on essaie de leur envoyer des messages, je suis sur Moodle […] mais ça ne remplace pas le fait d’être présent. »
Outre l’aspect de la présence auprès des étudiants, certains enseignants ont souligné l’importance des « conditions d’examens », apportant aux étudiants des expériences particulières qui seraient bénéfiques pour eux car constitueraient, grâce à la particularité de ces conditions, une sorte de « rituel de passage », un moment solennel qui marque la fin d’une période d’étude :
« Quand on enferme [les étudiants] comme ça dans une salle d’examen on leur rend un service aussi. On les met dans une boîte, il n'y a pas de communication avec l’extérieur, il n'y a rien pour les distraire et ils ont leur feuille de papier. Tout ce qu’ils ont à faire c’est répondre aux questions et ça c’est un service en fait. »
« Alors c’est bête hein, mais un examen c’est presque un peu solennel, il y a quand même le fait que tout le monde est au même endroit et qu’on leur dit « maintenant vos cartables c’est contre le mur »... Oui je sais, on est plus au XIXe [siècle] mais c’est pas la même chose je pense en termes d’expérience pour l’étudiant : d’être chez lui et de se connecter sur un truc et voilà quoi... D’un côté il y a le stress de la connexion : est-ce que ça va marcher et tout... Alors qu’en salle le stress mais c’est pédagogique : "c’est quel va être le sujet, comment ça va être corrigé, est-ce que je vais y arriver... " et donc ça fait qu’on stresse plus sur le côté un peu rituel de passage. »
La dématérialisation et la délocalisation des évaluations posent ainsi certainement la question d’une nouvelle symbolique de l’évaluation à l’Université, question en lien avec les convictions et postures personnelles de chacun des acteurs à l’Université, mais qui n’en reste pas moins liée à un bouleversement dans l’enseignement universitaire.
Conclusion
L’évaluation en ligne est-elle une amélioration de l’évaluation classique ?
L’évaluation en ligne, qu’elle soit adoptée ou critiquée, soulève de nombreux débats, questionnements et problématiques chez les enseignants de l’université. Chacun de nos entretiens avec notre panel d’enseignants s’est conclu par cette question ouverte : « L’évaluation numérique va-t-elle, selon vous, se développer à l’Université ? Est-ce une modalité d’avenir ? ». Ayant adopté ou non de manière pérenne cette modalité, les enseignants ont néanmoins répondu à cette question de manière homogène que l’on pourrait résumer par « Oui, mais pas pour tous les enseignants, ni pour tous les enseignements ».
D’une part, le développement de l’évaluation numérique soulève des problématiques autour des moyens de sa mise en place, faisant référence au critère de praticabilité selon Gilles et Charlier (2020). Qu’il s’agisse de moyens temporels pour les enseignants afin de se former et construire leurs évaluations ou de moyens logistiques, matériels ou encore humains, le développement de l’évaluation numérique sera sans doute conditionné par des facteurs qui ne dépendent pas directement de la volonté des enseignants.
« [Pensez vous que l’évaluation numérique à l’université est une modalité d’avenir ?] - Ah je suis très partagée là-dessus, je sais pas, je pense que ça peut être intéressant effectivement mais ça nous demande un gros... [NDLR: l’enseignant ne finit pas sa phrase] enfin moi, si je reviens sur de l’évaluation numérique, ça va me demander de me former, et de revoir mes questions, mon organisation, etc. Donc une formation tant sur la formulation que sur le paramétrage. Ça pourrait hein, mais il faut que j’ai le temps de pouvoir le faire et actuellement j’ai pas le temps. Donc actuellement c’est plus facile pour moi de passer par des évaluations papier parce que j’ai pas ce temps pour me former à ce type d’évaluations. »
D’autres enseignants expriment au contraire le fait que les évaluations numériques ne seront pas adoptées par tous du fait d’un manque d’intérêt ou d’appétence de la part de certains :
« Moi je suis pas assez à l’aise avec les évaluations numériques parce qu’aussi je ne connais pas toutes les possibilités offertes […]. Alors après c’est de ma faute hein, je me suis pas non plus forcément énormément penché sur la question, mais voilà je pense qu’il y a des possibilités qu’on exploite pas assez mais peut-être par manque d’envie, par manque de curiosité, par manque d’intérêt, manque de temps... »
Que le choix d’opter pour l’évaluation numérique soit lié à des raisons individuelles ou non, tous ceux interrogés s’accordent sur un point : les évaluations numériques ne sont pas adaptées pour tous les types d’enseignements, et notamment ceux qui ont pour objectif pédagogique l’apprentissage de compétences analytiques, de réflexion, de synthèse, d’abstraction… en bref des compétences qui ne sont pas un apprentissage ou une compréhension de notions données. Cela fait référence au critère de « validité » selon Gilles et Charlier (2020) :
« [Si un jour vous aviez plus de temps, vous imagineriez refaire [des évaluations numériques] ?] - Oui pourquoi pas, sur de l’évaluation de connaissance pourquoi pas. Sur de l’évaluation d’analyse de situation je suis pas sûre que ce soit adapté. »
« Vous avez des matières qui sont des matières où on enseigne beaucoup de contenu pour simplement vérifier que l’étudiant a appris des choses particulières. Le fait de faire une évaluation numérique peut avoir son utilité. »
La crise du Covid en 2020 et la mise à distance des enseignements et des évaluations a fortement bouleversé la vision de l’évaluation à l’Université aujourd’hui. Du choix de sa modalité (papier ou numérique) à l’effet de ce choix sur la symbolique même de l’évaluation à l’Université, plusieurs enseignants ont ainsi pu exprimer leur avis. Modalité pouvant être sujette à controverse, le passage à une évaluation numérique pose certainement la question de la pertinence pédagogique (ou de sa validité).
Le passage d’une évaluation papier à une évaluation numérique peut être analysé de bien des manières selon chaque cas unique d’enseignant et d’évaluation : que ce soit un choix réalisé ou non par l’enseignant, un choix poussé par des contraintes temporelles ou de moyens, ou un choix fait pour bénéficier d’avantages en termes de temps de correction et de possibilités offertes par l’outil numérique. Il est ainsi difficile d’offrir un avis tranché sur cette modalité en termes d’amélioration ou de dégradation par rapport à une évaluation classique.
Nous conclurons cet écrit par l’idée que l’évaluation numérique peut offrir des améliorations par rapport à une évaluation sur papier, notamment lorsque l’enseignement s’y prête (possibilités d’interactivités, questions innovantes, questions en très grand nombre, flexibilité, accès à des statistiques, impartialité de la correction…). Ces améliorations peuvent contribuer à augmenter la qualité de l’évaluation autour de certains critères comme la validité, la fidélité, la sensibilité, l’équité ou la praticabilité (Gilles et Charlier, 2020).
Le passage au numérique d’une évaluation classique peut cependant dégrader celle-ci au regard de ces même critères. Elle ne doit être ni un prétexte ni une solution face au manque de moyens logistiques et humains. Selon nous, les améliorations ou les dégradations apportées par la mise en place d’une évaluation numérique dépendent ainsi moins des possibilités offertes par cette modalité que par ses usagers.