Intégration progressive du DDRS dans l’enseignement

Les sujets liés à la transition écologique ont été progressivement intégrés au sein de l’Éducation Nationale dans le primaire et dans le secondaire puis se sont diffusés au sein de l’enseignement supérieur. 

On parle tout d’abord d’ « Éducation au développement durable » (EDD) pour les établissements du primaire et du secondaire depuis 2004. Des directives sont données via des circulaires (2007, 2011, 2013, 2015) et notamment celle du 24 septembre 2020[1]. Cette dernière renforce les directives concernant le pilotage national et académique de ces sujets avec la mise en valeur de la labellisation des établissements scolaires, l’instauration d’un réseau d’éco-délégués ainsi que l’annonce de la parution d’un Vademecum « Éducation au développement durable -Horizon 2030 » (2021). Ce dernier apporte alors des solutions globales (programmes et pratiques pédagogiques, gouvernance, fonctionnement des établissements) et procède à une redéfinition des concepts mobilisés tout en proposant des pistes pédagogiques pour chaque discipline. C’est à ce moment qu’on retrouve les injonctions à faire de l’EDD une éducation « transversale, interdisciplinaire et non une discipline en soi » (M. Bortzmeyer, 2021/3, p.643)[2] avec un rappel à rester dans un « cadre académique maîtrisé », l’auteur rappelant qu’à la date de la parution de ce Vademecum « l’innovation pédagogique – notamment la pédagogie de projets, et l’ouverture aux expertises associatives sont […] empreintes d’une certaine défiance » (idid.) 

Par ailleurs, depuis le 3 août 2009, l’article 55 de la loi n°2009-967 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite “Grenelle 1”[3], impose à tous les établissements d’enseignement supérieur la mise en place d’une démarche de développement durable, ces derniers pouvant solliciter une labellisation sur la base de critères de développement durable. C’est ainsi qu’émerge en 2010 le premier “Référentiel national DD&RS”(Développement Durable et Responsabilité Sociétale), issu de la collaboration entre la Conférence des Présidents d’Universités, la Conférence des Grandes Écoles (CPU-CGE), le Réseau Étudiant pour une Société Écologique et Solidaire (REFEDD) et le Ministère de la Transition écologique. La dernière version de ce  référentiel[4] est celle proposée en 2021 avec le soutien du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation poussé par le déploiement du Plan Vert (« Green Deal » décidé à l’échelle de l’Union Européenne en décembre 2019). Ce document sert ainsi de base au déploiement de ce démarche de labellisation en permettant aux établissements du supérieur de s’auto-évaluer sur leur démarche liée au DDRS puis d’être certifiés par un comité de labellisation.

Des transformations complexes à mettre en place

Cette intégration progressive des thématiques liées au DDRS se heurte cependant à de nombreuses difficultés liées à la réalité du terrain. C’est pour pallier ces difficultés que le rapport Jouzel-Abbadie[5], a été remis en février 2022 au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Les principales propositions de ce rapport portent sur la nécessité de former tous les étudiants aux enjeux DDRS indépendamment de leur discipline, l’adaptation et la création de formations en conséquence, ainsi que le développement de nouvelles missions d’animation et d’accompagnement pédagogique pour soutenir ces changements​.

Une des propositions du rapport est de consacrer 6 ECTS sur les deux premières années après le baccalauréat pour des enseignements strictement réservés à la transition écologique. Néanmoins cette proposition risque de rencontrer des freins. Beaucoup d’enseignants sont déjà surchargés en volume horaire et les maquettes ne sont pas extensibles, ce qui signifie qu’il faudrait certainement rogner sur une partie des cours existants.

Par ailleurs, l’intégration de ces contenus DDRS s’accompagne souvent d’une injonction pour les équipes pédagogiques à travailler en interdisciplinarité ou « transdisciplinarité » que Yves Lenoir et Lucie Sauvé (1998) définissent comme : « la mise en relation de deux ou de plusieurs disciplines scolaires qui s’exerce à la fois sur les plans curriculaire, didactique et pédagogique et qui conduit à l’établissement de liens de complémentarité ou de coopération, d’interpénétrations ou d’actions réciproques entre elles sous divers aspects (finalités, objets d’études, concepts et notions, démarches d’apprentissage, habiletés techniques, etc.), en vue de favoriser l’intégration des processus d’apprentissage et des savoirs chez les élèves »[6].

Ce travail d’équipe nécessite donc une coordination afin de définir des stratégies pour implanter ces enseignements (à l’échelle de l’université ? d’une UFR ? d’un département ?). Il apparait également nécessaire de dégager du temps pour que les équipes puissent s’emparer de cette interdisciplinarité. Ces transformations devront également entraîner une valorisation de l’engagement des équipes selon le rapport Jouzel qui relève que : « L’appréhension des logiques de la Transition écologique implique une approche multidisciplinaire, voire transdisciplinaire. Or les carrières des enseignants et enseignants-chercheurs sont gérées par les disciplines, de la qualification au recrutement, en passant par les changements de grades ou de corps. De sorte que les contributions aux enseignements pluridisciplinaires impliqués par la Transition écologique ne sont pas forcément valorisées, ce qui est susceptible de porter préjudice aux personnes impliquées. » (Jouzel, 2022, p. 56).

Enfin, un autre frein évoqué par les chercheurs contribuant au rapport Jouzel est celui du manque de formation des enseignants sur les enjeux de transition écologique et sur la manière de les intégrer à leurs enseignements. En effet, les enseignants sont, dans le cas de l’enseignement supérieur, des spécialistes de leur champ disciplinaire et n’ont pas pour mission initiale d’enseigner le DDRS. Ils doivent donc monter en compétences pour éventuellement intégrer des contenus DDRS transversaux ou plus spécifiques à leurs enseignements. Les chercheurs de ce rapport repèrent néanmoins des tentatives pour former les enseignants débutants au sein des INSPE (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) mais que ce genre de formations sont peu développées pour la formation continue des enseignants déjà en poste (Bosch et Gascon, 2005 dans Redondo et Ladage, 2019, p. 111)[7].

L’adaptation des pratiques pédagogiques 

Comme nous avons pu l’évoquer plus haut, l’intégration du DDRS au sein des enseignements s’accompagne souvent d’une injonction pour les enseignants à adapter leurs pratiques pédagogies : « La co-construction de la formation avec les étudiants favorise l’élaboration de modalités pédagogiques innovantes et actives, apportant une réelle valeur ajoutée en veillant à l’adéquation de la méthode retenue avec les usages de la génération concernée. » (Jouzel, 2022, p. 62)

De plus, ces transformations pédagogiques peuvent entraîner des changements de posture chez l’enseignant (D. Bucheton et Y. Soulé, 2009, p. 29-48)[8]. L’enseignant a été traditionnellement (notamment à l’université) dans une « posture d’enseignement » et de « contrôle » dans laquelle il est le « garant » des savoirs qu’il structure et dont il fait la démonstration. Mais le développement des projets et des activités de co-construction du savoir par les étudiants permet à l’enseignant de faire évoluer ponctuellement sa posture vers celle de l’« accompagnement » voire du « lâcher prise » où il provoque les discussions entre les élèves et favorise la recherche des références ou d’outils nécessaires. Cela induit une forte responsabilisation des étudiants, pouvant permettre un engagement plus fort, bien que cette posture puisse également être vécue comme inconfortable pour l’enseignant si elle n’est pas correctement encadrée.

En outre, un autre élément intéressant est pointé par les chercheuses Cécile Redondo et Caroline Ladage, (2019) : celui de la « tension dialectique ». En effet, la complexité de la mise en œuvre de certaines modalités pédagogiques (induites par l’intégration des thématiques DDRS), peut entraîner une survalorisation de l’enjeu pédagogique, se transformant lui-même en enjeu didactique, et disputant ainsi la place à l’enjeu didactique primaire (tel ou tel thème de DDRS). Les auteures rappellent alors qu’« une codétermination des enjeux pédagogique et didactique est à rechercher dans une tension dialectique entre les deux, qui ne réduit pas excessivement la situation d’apprentissage à l’un ou à l’autre » (Redondo, C., & Ladage, C.,2019, p. 110). On remarque alors le difficile exercice d’équilibriste demandé aux enseignants, bien que ces derniers puissent bénéficier du soutien de cellule d’appui à la pédagogie (comme c’est le cas à l’UA avec le Lab’UA).

Enfin, s’emparer des enjeux liés à la transition écologique peut parfois être vécu comme une tension entre la remise en question de la posture de « neutralité » attendue de la part des agents du service public et la mise à distance de questions socialement vives (Simonneaux et al., 2017 cités dans M. Bortzmeyer, 2021/3, p. 643)[9].

Bibliographie

[1] Circulaires EDD :

  • Circulaire no 2007-077 du 29 mars 2007, Éducation au développement durable – seconde phase de généralisation de l’éducation au développement durable.
  • Circulaire no 2011-186 du 24 octobre 2011, Éducation au développement durable – troisième phase de généralisation.
  • Note de service no 2013-111 du 24 juillet 2013, Instructions pédagogiques – démarche globale de développement durable dans les écoles et les établissements scolaires (E3D) – référentiel de mise en œuvre et de labellisation.
  • Circulaire no 2015-018 du 4 février 2015, Instruction relative au déploiement de l’éducation au développement durable dans l’ensemble des écoles et établissements scolaires pour la période 2015-2018.
  • Circulaire MENE2025449C du 24 septembre 2020, Renforcement de l’éducation au développement durable – Agenda 2030

[2] Bortzmeyer, M. (2021). Prendre en compte les enjeux environnementaux et de durabilité dans la formation initiale et continue. Un point de vue depuis le ministère de la transition écologique. Revue française d’administration publique, https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2021-3-page-639.htm

[3] Le MESR et le développement durable. (s. d.). enseignementsup-recherche.gouv.fr. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/le-mesr-et-le-developpement-durable-49295

[4] Référentiel de développement durable et de responsabilité sociétale des établissements d’enseignement, de recherche et d’innovation (version 2021) : https://franceuniversites.fr/wp-content/uploads/2022/02/referentiel-DDRS_2021_FR_numerique.pdf

[5] Jouzel, J., & Abbadie, L. (2022, 16 février). Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique dans l’Enseignement supérieur. enseignementsup-recherche.gouv.fr. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/sensibiliser-et-former-aux-enjeux-de-la-transition-ecologique-dans-l-enseignement-superieur-83888

[6] Lenoir, Y., & Sauvé, L. (1998). Note de synthèse – De l’interdisciplinarité scolaire à l’interdisciplinarité dans la formation à l’enseignement : un état de la question. Revue Française de Pédagogie/Revue Française de Pédagogie, 124(1), 121‑153. https://doi.org/10.3406/rfp.1998.1122

[7] Redondo, C., & Ladage, C. (2019). Quand l’enjeu pédagogique dispute la place de l’enjeu didactique et réciproquement : Le cas de l’éducation au développement durable. Education & Formation, e-312. HAL. https://amu.hal.science/hal-02425842

[8] Bucheton, D., & Soulé, Y. (2009). Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées. Éducation et didactique, 3(3), 29-48. https://journals.openedition.org/educationdidactique/543

[9] Bortzmeyer, M. (2021). Prendre en compte les enjeux environnementaux et de durabilité dans la formation initiale et continue. Un point de vue depuis le ministère de la transition écologique. Revue française d’administration