Introduction

L’intention de cet article est de proposer une synthèse des arguments représentés dans la littérature scientifique, afin de mieux appréhender les dispositifs d’évaluation en ligne, ainsi que les leviers et défis associés.  

1. La sémantique de l’évaluation

La formulation de nos questionnements suppose que nous puissions situer notre objet d’étude sur un axe en tension entre deux pôles : d’un côté l’optimisation et de l’autre la dégradation. Nous devons donc préalablement définir et préciser notre objet, puisque le terme d’évaluation recouvre à la fois l’action d’évaluer, son contexte, et des pratiques associées. 

1.1 Évaluation et pratiques évaluatives

comme un processus qui relève d’une façon d’agir empirique ou d’un savoir-faire méthodologique propre à un enseignant, lequel repose sur une démarche de collecte et de traitement d’informations dans le but de porter un jugement et de prendre une décision (Nizet, Leroux, Deaudelin, Béland & Goulet, 2016, p. 6)

L’évaluation s’apparente à : « toute méthode utilisée pour mieux comprendre les connaissances que possède un étudiant1 » (Audet, 2011). La terminologie « en ligne » spécifie que l’évaluation repose sur un outil numérique, et qu’elle mobilise le plus souvent un accès internet. Pour traiter des pratiques évaluatives, nous devons en référer aux contextes existants en formation à distance (FAD), car plus représentés
dans la littérature scientifique. Selon Leroux et Bélair2 (2015), ces pratiques évaluatives s’expriment au travers d’actes observables et du processus d’évaluation, articulés en quatre étapes : l’intention, la mesure, le jugement et la décision. Elles sont donc définies : 

1.2 L’axe optimisation / dégradation

Les représentations, qu’elles soient sociales ou individuelles, sont un dénominateur commun au couple «optimisation / dégradation» que nous allons définir. Notre rapport au numérique est lui-même empreint d’un imaginaire social, qui structure et nuance nos pratiques et usages, entre attraction et répulsion. Il y a plusieurs acceptions, dans le langage courant, pour définir le terme d’optimisation, telles que : rendre optimal, (se) donner les meilleures conditions possibles d’utilisation, de fonctionnement, de rendement. On
retrouve également l’idée d’une amélioration au sens de devenir meilleur (Dictionnaire en ligne CNRTL, 2023).

« Optimiser quoi, comment et pour quoi faire ? À travers ces questionnements, nous souhaitons souligner et travailler la pluralité des idéologies susceptibles de s’articuler à cette quête d’optimisation. » (Dalgalarrondo & Fournier, 2019)

De manière assez procédurale ou méthodologique, l’optimisation requiert une rationalisation de pensée et / ou d’action pour obtenir le résultat le plus efficient. Gain de temps, d’énergie, de productivité : ou comment
faire mieux, avec des compromis à trouver sur un intervalle entre rapidité et simplicité.

 L’optimisation signifie que les choix effectués en termes de projets et d’objectifs seront investis de façon à en tirer le meilleur profit possible, en qualité comme en quantité » [Hummel, 2009 : 47].

Dalgalarrondo et Fournier (2019) parlent également d’un « travail d’appropriation de la logique d’optimisation » à entendre comme « technique de soi ». Les auteurs la situent dans une construction
articulée entre des normes et un ensemble de possibles, pouvant s’exprimer au travers de postures (idéologiques) et des pratiques (dans notre cas, pédagogiques).


Selon le dictionnaire en ligne CNRTL, la dégradation est une perte ou une diminution de la valeur, de l’action qui conduit à un mauvais état ; associée à une progression temporelle. Il s’agit d’une observation comparée entre deux états, à des moments différents.

« Si l’on se réfère aux dictionnaires d’anthropologie et de sociologie, le terme de dégradation n’est pas défini. Il est utilisé lorsqu’est abordée la dégradation des liens sociaux. Le terme de crise lui est préféré. » (Bioret et Chlous-Ducharme, 2011).

2. État des lieux de l’évaluation à l’Université

L’évaluation est un élément crucial de l’expérience universitaire. Point d’orgue d’une formation, elle permet de mesurer la performance et la progression des étudiants. C’est donc sur elle que repose l’obtention des diplômes. Malgré son importance, il est remarquable que peu d’articles scientifiques portent sur l’évaluation à l’université (Siracusa, 2014)

2.1. Un système codifié et complexe

En milieu universitaire, l’évaluation en ligne est particulièrement codifiée, et les différentes réformes ont accru une certaine lourdeur administrative (Serres, 2019). En outre, 

« L’importance des effectifs à évaluer a comme conséquence l’impossibilité de recourir à un vrai contrôle continu […], la multiplication de formes d’évaluation “par défaut" (comme des QCM utilisés non pas par choix, mais par nécessité), l’abandon des évaluations orales, ou la demande adressée aux UFR par les services centraux de limiter la durée des épreuves, pour que tous les examens puissent être organisés dans le calendrier prescrit » (Gauthier & al., 2007).  

A cela s’ajoute un système de calcul de notes difficile à appréhender. La compensation qui s’opère parfois entre semestres, unités d’enseignements et évaluations d’un même cours, est difficilement lisible pour les étudiants (Gauthier, Caffin-Ravier, Descamps, Mosnier & Peretti, 2007).  

2.2. Des parcours de formation éclatés

L’évaluation à l’université est également caractérisée par un éclatement des parcours de formation, avec des options multiples offrant aux étudiants une grande flexibilité dans leurs choix de cours. Les enseignants peuvent alors être confrontés à des classes très hétérogènes mixant des étudiants de plusieurs formations voire plusieurs niveaux (L1, L2 ..). « Dans ce contexte, il est rare d’avoir une promotion aux parcours à peu près similaires et identifiables » (Serres, 2019).

Il n’est également pas aisé pour les enseignants de connaître leurs étudiants. Ainsi, selon une étude de Siracusa (2014), 6 enseignants sur 10 en sociologie n’évaluaient un étudiant que dans une seule matière.  

2.3. Une élaboration individuelle et normée

Un dernier point concerne le contenu et le format des évaluations : Serres (2019) soulève que les enseignants élaborent leurs contenus et évaluations de manière individuelle plutôt qu’en concertation avec l’équipe pédagogique.

En outre, les corrections des évaluations ne sont pas automatiquement communiquées, c’est d’ailleurs « une difficulté évoquée par des étudiants pour « savoir ce qu’est une bonne copie ». (Gauthier & al., 2007).

Quant au format, Siracusa (2014) évoque, qu’en sociologie, les évaluations reposent souvent sur la modalité rédactionnelle de la dissertation. Or « ces épreuves sont d’abord des performances d’écriture et l’évaluation une activité de lecture” (Siracusa, 2014). Ainsi, “lorsque les correcteurs comparent les performances de leurs étudiants, les différences qui sautent aux yeux relèvent des acquis scolaires” (Siracusa, 2014)

En somme, évaluer à l’université est un procédé complexe soumis à des contraintes tant administratives qu’organisationnelles. Cela requiert de la part des enseignants un travail conséquent pour garantir des évaluations pertinentes, cohérentes et équitables.

3. L’impact de l’évaluation en ligne sur les problématiques actuelles

La montée en puissance de nouvelles technologies permet aujourd’hui une facilitation de l’évaluation en ligne des apprentissages des étudiants. Cette modalité peut alors apparaître comme une réponse efficace aux problématiques actuelles de l’évaluation. 

3.1. Un gain de temps et une flexibilité indéniables

L’un des points forts de l’évaluation en ligne est le gain de temps. L’examen sous ce format permet de réduire considérablement le temps de correction des copies car il est possible de l’automatiser tout ou en partie (Gilles & Charlier, 2020). Ce gain de temps de correction est à reconsidérer en tenant compte du temps de préparation, qui pourra être plus important. Néanmoins, ce qui a été conçu en ligne peut être réutilisé (Audet, 2011).  

En mode asynchrone, l’évaluation en ligne offre également plus de flexibilité pour les enseignants et les étudiants, qui peuvent travailler à leur rythme et selon leur disponibilité (Audet, 2011). Cette modalité permet également une évaluation plus fréquente, ce qui est bénéfique pour les étudiants, qui peuvent mesurer plus régulièrement leur progression (Pelaccia, 2021). 

3.2. Une pédagogie qui s’adapte aux nouvelles pratiques

L’évaluation en ligne permet de diversifier sa pédagogie car elle offre une grande flexibilité en termes de méthodes d’évaluation et peut favoriser de manière surprenante l’authenticité des évaluations. En effet, comme souligne Pelaccia (2021), les outils numériques vont permettre la production de vidéos, de documents audios par l’étudiant. 

En outre, certaines activités en ligne comme la conception commune de wikis ou blogs permettent « d’évaluer des capacités de haut-niveau » (Pelaccia, 2021). L‘évaluation en ligne permet de surcroît une rétroaction automatisée, offrant ainsi une réelle progression différenciée pour chaque étudiant (Gilles & Charlier, 2020). Enfin, si l’évaluation en ligne est automatisée, elle permet une correction impartiale (Audet, 2011) 

L’utilisation d’outils numériques pour l’évaluation est également une compétence indispensable pour les étudiants, qui doivent maîtriser ces technologies pour réussir dans leur vie étudiante et professionnelle (Pelaccia, 2021).  

3.3. Un entraînement automatisé permettant la réussite

Enfin, l’évaluation en ligne peut favoriser la réussite des étudiants (Hanzen, Crahay, Detroz, & Leclerq, 2010) en préparant notamment les étudiants aux examens par le biais de tests QCM formatifs et en automatisant les feedbacks (Audet, 2011). 

En somme, l’évaluation en ligne peut apparaître comme une réponse efficace à de nombreuses problématiques actuelles de l’évaluation, en offrant notamment une plus grande flexibilité, une amélioration de la pédagogie et une réduction de temps liés à la correction. 

4. Les défis posés par l’évaluation en ligne

L’évaluation en ligne est une pratique qui, à première vue, présente de nombreux avantages, notamment sur la réduction du temps de correction et l’efficacité accrue du processus d’évaluation. Cependant, cette pratique n’est pas une recette miracle.

4.1. Une obsolescence des outils et un besoin de formation

Premièrement, l’accès à l’équipement informatique pour les étudiants est un frein important. En effet, tous les étudiants ne disposent pas d’un ordinateur personnel ou d’une connexion internet suffisamment fiable pour participer aux évaluations en ligne (Gilles & Charlier, 2020). De plus, l’obsolescence rapide des logiciels et équipements informatiques peut rendre difficile la maintenance et la mise à jour des systèmes d’évaluation en ligne. Selon une enquête de l’Observatoire national de la Vie Etudiante (OVE) en 20213 : 96% des étudiants ayant répondu à l’enquête disposent d’une tablette ou d’un ordinateur personnel. En revanche, ils sont 43% à déclarer ne pas avoir une connexion suffisante à internet pour étudier.

Un autre défi important dans l’évaluation en ligne est le besoin de temps en formation à l’utilisation des outils numériques. Ainsi leur appropriation au sein du cours est plutôt une « logique d’habitus et de bricolage personnels » (Balthazart & Chagnoux, 2017), la connaissance des fonctionnalités des outils numériques pour l’évaluation est alors essentielle.

4.2. Une pertinence pédagogique nécessaire

La pertinence pédagogique est également un défi dans l’évaluation en ligne. Les évaluations numériques peuvent être utilisées pour leurs avantages pratiques sans que les enseignants aient une nouvelle réflexion sur leur utilisation pédagogique. Par exemple, les évaluations en ligne peuvent se réduire souvent au QCM (Pelaccia, 2021), alors que d’autres types d’évaluations pourraient être plus pertinents pour évaluer certaines compétences (production documentaire, travail réflexif, étude de cas). La nature de l’évaluation en ligne peut également limiter les compétences à évaluer, notamment celles professionnelles (Pelaccia, 2021).

4.3. La fraude et l’accessibilité : deux sujets brûlants

La fraude, est sans doute le défi majeur dans l’évaluation en ligne et sera développée un peu plus loin dans ce dossier. D’apparence facilitée par les technologies numériques notamment avec l’utilisation de l’Intelligence Artificielle ou les moteurs de recherche, elle est à recontextualiser. D’une part car la fraude existe également pendant l’évaluation en présentiel : une enquête menée par Gauthier & al. (2007), et dont le propos est corroboré par Audet et Peraya, les étudiants « qui se sont exprimés la trouvaient plus facile en contexte traditionnel » (Audet, 2011) où « 25 à 50% des étudiants recourent à la fraude » (Gauthier & al., 2007) car « on incrimine Internet, mais le plagiat a toujours existé » (Baril & Peraya, 2009). D’autre part, la fraude peut même, à priori, être réduite en ligne grâce aux logiciels de détection existants, comme l’affirme Audet (2011).


Enfin, concernant l’accessibilité, les chercheures Pinède et Lespinet-Najib (2019) ont essayé de comprendre les défis et les opportunités liés à l’utilisation des technologies numériques. Les résultats de l’étude ont montré que les technologies numériques peuvent offrir des avantages significatifs aux personnes en situation de handicap, en leur permettant de communiquer plus facilement, d’accéder à des informations et des services, et de participer plus pleinement à la vie sociale. L’étude met également en évidence des freins concernant l’utilisation de ces technologies, notamment les obstacles physiques, les difficultés d’apprentissage et les problèmes d’accessibilité. Les autrices soulignent alors l’importance de la formation et de l’accompagnement ainsi que la nécessité de prendre en compte les besoins spécifiques de chaque personne dans la conception et le développement de ces technologies.

En synthèse

Suite à la définition des termes utilisés, nous avons dressé un bref état des lieux de l’évaluation à l’université. Nous avons alors constaté que l’évaluation en ligne peut offrir des avantages pour les problématiques existantes, bien que des défis sociaux, sociétaux et technologiques soient soulevés.


Nous retiendrons qu’il n’y a pas d’examen miracle mais que l’évaluation s’adapte toujours à un contexte d’une situation de formation. Aussi pour statuer sur une éventuelle optimisation ou dégradation de l’évaluation, nous vous proposons alors neuf critères qualité, adaptés de Gilles et Charlier (2020). Dans la version ci-dessous, des questions ont été ajoutées aux critères afin que ce tableau puisse servir de support pédagogique permettant d’évaluer, au regard d’une situation, la pertinence d’un type d’évaluation, en ligne ou non :

 

C’est au regard de ces indicateurs que nous pourrons apporter des éléments d’analyse dans la suite de ce dossier.

Nous vous recommandons d’ailleurs la lecture approfondie du tableau comparatif des deux types d’évaluation en ligne (questions à choix multiples et questions à réponses ouvertes libres) proposé sous le prisme des critères qualité énoncés ci-dessus (Gilles et Charlier, 2020, p. 149- 150). 

 

Annexes

Annexe 1 : Tableau des indicateurs de qualité – Gilles & Charlier, 2020

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